L’Inrap participe au programme de fouille, de documentation et d’étude épigraphique des chapelles et nécropole osiriennes nord de Karnak. Initié par le Centre Franco-Égyptien d’Étude des Temples de Karnak (Cfeetk) et l’Ifao, en collaboration avec l’EPHE, Sorbonne Université, l’Université de Lyon et le soutien d’Arpamed, ce programme vise à mieux comprendre l’avènement d’Osiris comme dieu majeur au sein des temples égyptiens au Ier millénaire av. J.-C. Cyril Giorgi (Inrap) qui codirige la mission archéologique, avec Laurent Coulon (Ifao-Ephe), revient sur les particularités de ces fouilles.

Dernière modification
05 août 2020

Vous êtes archéologue à l’Inrap. Qu’est-ce qui vous a amené à faire des fouilles à Karnak ?


Je mène actuellement des fouilles en France sur un site évoluant de la période laténienne à la période médiévale, du plateau de Saclay, mais j’ai aussi effectué plusieurs missions à l’étranger autour de problématiques de bâti, d’architecture et d’urbanisme, notamment au Guatemala et au Mexique, mais aussi en Argentine et en Syrie. Depuis dix ans, je travaille sur le site de Karnak pour effectuer une fouille intégrale et une étude systématique du bâti et des différents programmes architecturaux. Au cours de ces missions successives, j’ai participé aux fouilles de trois chapelles osiriennes situées le long de la voie menant de la grande salle hypostyle de Karnak au temple de Ptah.


Quelle est la problématique de ce site des chapelles osiriennes ?


Le site de Karnak offre un cadre de référence pour comprendre le phénomène d’avènement du dieu Osiris au cours du Ier millénaire avant J.-C. Les trois chapelles que nous fouillons sont situées entre la 25e et la 26e dynastie (VIIe-VIe s av notre ère), mais comme d’habitude sur ce type de site égyptien, on découvre beaucoup de choses plus anciennes ou plus nouvelles. Nous avons ainsi découvert sous les fondations de la chapelle d’Osiris Ounnefer Neb-Djefaou, les traces d’une autre chapelle et d’activités cultuelles, comme les sceaux en argile qui étaient employés pour fermer les portes. Nous avons aussi repéré les traces d’un ancien rempart du temple de Karnak remontant à la 21e dynastie (de 1070 à 945 av. notre ère). Le site garde aussi des traces de constructions d’époque saïto-perse (VIe siècle). Sous les Ptolémée, vers le IIIe siècle avant J.-C., les chapelles ont été reconstruites, puis elles ont été recouvertes à la période antique (Ier siècle après J.-C.). Entre le sol pharaonique et le sol romain, il y a une puissance stratigraphique de plus 2 mètres, et beaucoup de niveaux et de constructions empilées les unes sur les autres. Nous sommes là pour fouiller les chapelles osiriennes et celles-ci nous apportent une meilleure compréhension du culte d’Osiris à différentes époques et sur beaucoup d’aspects. Néanmoins, chaque niveau nous offre une nouvelle vision de telle ou telle période et permet la mise en place de nouvelles problématiques archéologiques et historiques.


Quelles sont les spécificités de ces chapelles osiriennes ?


Elles mettent toutes en scène le dieu Osiris et la triade thébaine, avec à sa tête Amon-Rê. Á l’époque, au VIe siècle avant J.-C., Osiris prend une importance énorme et absorbe les attributs d’autres divinités. Il y a une vingtaine de chapelle d’Osiris sur le site de Karnak qui expriment chacune un aspect ou un faciès d’Osiris. En ce qui concerne ces trois chapelles, il s’agit respectivement des attributs suivants : « Ounnefer Neb-Djefaou », « Osiris maître des aliments », Neb-ânkh/pah oucheb iabd, « maître de la vie/celui qui secourt le malheureux » et Neb neheh « maître de l’éternité ». Construite vers 550 avant J.-C, la chapelle d’Osiris Ounnefer Neb-Djefaou est contemporaine du règne d’Amasis (XXVIe dynastie) et du pontificat de la Divine Adoratrice Ankhnesnéféribré, le personnage le plus important après le pharaon. On la voit représentée en pied dans un cartouche en face d’Amon-Rê et de Hathor (la fille de Rê).
Sur le plan architectural, les chapelles sont comme des reproductions en miniature des grands temples égyptiens. Elles comportent une rampe d’accès, une salle hypostyle, des portes et un naos, le sanctuaire où repose la divinité ou le « fétiche ». Même une petite chapelle reproduit les canons architecturaux et exprime l’emphase des grands temples égyptiens. Le matériau de construction qui est de loin le plus utilisé est la brique crue qui a servi pour les fondations et les murs recouverts d’enduit. Certains seuils de porte sont en granit. Les éléments en pierre, les portes et le naos, ont conservé les inscriptions, mais non les murs qui étaient recouverts d’enduit peint.


Avez-vous découvert du mobilier ?


Oui, nous avons mis au jour un important mobilier, notamment des figurines en bronze, parfois recouvertes de feuille d’or, représentant Osiris ou d’autres dieux, de la monnaie remontant à l’époque ptolémaïque et un atelier monétaire, des yeux oudjats c’est-à-dire à fonction prophylactique, et de nombreux objets en terre cuite… La construction d’un temple ou d’une chapelle, ou son réaménagement à une époque ultérieure, comportait un rituel de fondation qui consistait à enfouir dans la maçonnerie un dépôt d’objets qui protégeaient l’édifice. Ces dépôts étaient souvent recherchés par les archéologues, mais rarement trouvés. Nous en avons trouvé plusieurs, correspondant aux différentes périodes d’occupation et de réoccupation des chapelles. Un dépôt atypique et relativement tardif a été trouvé dans la plateforme de fondation du naos de la chapelle Ounnefer Neb-Djefaou. Ce dépôt consiste en une jarre contenant des fragments cuivreux de statuettes osiriennes (uraeus ou serpent, plume d’autruche de la coiffe d’Osiris), une amulette, un scellé, deux figurines en terre cuite. Cela nous donne une indication sur le culte osirien particulier qui était rendu dans cette chapelle à cette période.


De quelle manière, ce site a-t-il ensuite évolué ?


Le site a évolué de manière particulière sous les Ptolémée, parce que ceux-ci voulaient conserver les cultes anciens, un syncrétisme bien représenté par des dépôts contenant des pièces de monnaie et des pièces qui montrent la figure d’Osiris. Les trois chapelles ont été conservées mais rénovées et restructurées dans un seul et même ensemble cultuel toujours dédié à Osiris. Toutefois, les canons esthétiques ont été plus ou moins respectés. Dans le domaine épigraphique, on peut ainsi constater des erreurs, avec des blocs de réemploi qui n’ont pas été mis à la bonne place. Au IIe et Ier siècle avant J.-C., cette aire a été en partie remblayée au profit de modestes constructions en briques crues, témoignant d’une zone d’habitat très dense, avec encore de nombreux niveaux de sols. Le niveau correspondant à l’occupation romaine a été riche en monnaies, dépôts divers, figurines en bronze, ostraca (tessons de céramique) comprenant des documents comptables, écrits en grec…


Cette fouille est-elle particulière, en comparaison de celles que vous menez en France ?


Oui, elle est très différente. Dans le temps tout d’abord. Ce sont des missions d’un mois environ que nous menons entre janvier et mars depuis plusieurs années. Cette période d’un mois peut sembler courte, mais chaque fouille apporte énormément de données qui demandent de longs délais de traitement et d’analyse par l’équipe pluridisciplinaire en charge du projet : spécialistes en épigraphie, en céramologie, en monnaie, conservateurs, restaurateurs... Le secteur est relativement restreint, 80 m sur 80 m environ. Ce sont trois chapelles, alignées les unes à côté des autres, le long d’un chemin processionnel, mais ce secteur, du fait de sa proximité immédiate avec le grand temple de Karnak, était très convoité d’un point de vue urbain et il est saturé de vestiges.
L’enjeu de cette fouille, comme je vous l’indiquais, est de pouvoir documenter les différents aspects et l’évolution du culte d’Osiris sur une longue période. Cette fouille est importante, car nous avons l’occasion de pouvoir étudier trois chapelles de différentes périodes, dédiées à Osiris, ainsi que tous les niveaux afférents, permettant d’avoir une vision globale de ce secteur, à différentes époques. En Égypte, notamment en contexte urbain, il est très compliqué de fouiller l’ensemble des niveaux, mais cette opportunité nous est donnée sur ce site, qui est également lié à un projet de restauration. Grâce à ces conditions particulières, nous avons l’opportunité de faire une étude complète des chapelles, depuis les fondations jusqu’à ce qui reste en élévation (le naos, les portes et certains murs). Nous pouvons ainsi réaliser des comparaison architecturales, épigraphiques, faire des typologies de céramiques très fines pour chaque période et obtenir des faciès socio-culturels précis pour le temple de Karnak et la région thébaine.
Le long calendrier des fouilles, étendu sur plusieurs années, s’accorde aussi avec la complexité du terrain et de son sous-sol. A chaque étape, il y a un important travail de relevé topographique, de dessins, d’enregistrement, de photographie et d’infographie à faire. Nous ne pouvons donc pas trop fouiller à chaque fois, pour permettre ce travail d’analyse. L’équipe de terrain est constituée de 30 à 40 personnes, tous égyptiens, qui fouillent, déblaient, lavent la céramique... Certains se forment aux différents aspects de la recherche archéologique. Des cycles de formation pour les inspecteurs des antiquités égyptiennes ont même été réalisés. C’est une grosse équipe, mais ici rien ne peut être mécanisé. Nous sommes en plein dans le centre de Karnak et la mécanisation détruirait tout !