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Rue de Hésingue
A Hégenheim, Haut-Rhin, la superficie de l'emprise était de 1 200 m2.
La fouille préventive, réalisée à la demande du service régional de l'Archéologie d'Alsace, a mis en évidence une nécropole mérovingienne des VIe et VIIe siècles connue depuis 1958, le terrassement d'une maison individuelle avait alors permis de révéler le site et de fouiller cinq sépultures et une tombe de cheval (fouilles réalisées par L. Berger/Institut de Préhistoire de Bâle). Deux autres inhumations avaient été mises au jour fortuitement en 1960 et 1971, sur la parcelle adjacente, au n° 45 de la rue.
Pas moins de 38 sépultures ont pu être fouillées. Cinq d'entre elles se situaient au centre de grands monuments circulaires d'un diamètre de 8 à 9 m. Elles étaient, à l'origine, recouvertes d'une levée de terre (tumulus), marquant ainsi l'emplacement de chambres funéraires dans le paysage. Il s'agit d'inhumations privilégiées autour desquelles d'autres sépultures se sont implantées selon une organisation spatiale respectant vraisemblablement une hiérarchie sociale. Si dans toutes les sépultures ont a trouvé des traces de chambres funéraires en bois, les tombes satellites sont moins grandes et moins profondes que celles placées à l'intérieur des enclos circulaires. Le mobilier qu'elles renferment varie selon les individus et leur position dans la nécropole. À ce stade de l'étude, il est difficile d'établir un lien (chronologique, de parenté...) entre les différentes tombes. On discerne cependant un groupe de trois guerriers (un jeune enfant, un adolescent et un adulte mature) bien alignés, muni chacun d'un équipement militaire standard, associant un scramasaxe à des flèches. Ces trois individus ont vraisemblablement été inhumés en même temps, ou dans un laps de temps très rapproché. Le sous-sol argilo-limoneux d'Hegenheim a permis une bonne conservation des matières périssables comme le bois et les coquilles d'oeufs ainsi que le cuir et le tissu à l'état de traces.
Les observations réalisées lors de la fouille permettront d'approcher au plus près des architectures funéraires accueillant les défunts. De nombreuses traces de planches révèlent en effet l'assemblage de ces chambres funéraires à double espace vide de type Morken, où l'individu est très souvent placé sur le bord latéral gauche de la sépulture, l'autre côté étant réservé aux dépôts d'offrandes. Celles-ci semblent assez standardisées et associent des portions de porc et de volailles quelquefois complétées par des oeufs. Toutes les tombes ont révélé un mobilier abondant, cependant, celles qui sont situées sous les grands monuments sont exceptionnellement riches. Elles abritent plus généralement des tombes d'hommes, mais aussi, dans un cas, la sépulture d'une femme et, dans un autre cas, celle d'un jeune enfant. Les sépultures masculines sont richement dotées de tout l'équipement militaire (bouclier, épée longue, scramasaxe, flèches, lance) auquel s'ajoutent des récipients en verre ou en céramique, des seaux, des peignes ainsi que des offrandes alimentaires. Les sujets féminins sont parés de colliers en pâte de verre bleu, rouge, jaune, blanc, vert mais aussi en ambre ou en améthyste, voire de boucles d'oreille. Les accessoires vestimentaires sont nombreux et comptent des châtelaines en bronze, des coquillages montés en pendentif, des boucles de ceinture, des épingles à cheveux... Des traces de tissus d'une extrême finesse ont même été mises en évidence. Des monnaies en or sont parfois placées dans la bouche des défunts et marquent, en plus des monuments et des offrandes, le caractère affirmé de traditions païennes.
La fouille intégrale des sépultures repérées sur cette parcelle permet de mieux apprécier la composition des membres de cette élite. En effet, hommes, femmes et enfants trouvent place dans cette nécropole. On peut d'ores et déjà préciser que le statut de guerrier était acquis très tôt puisque certaines panoplies militaires ont été associées à de jeunes enfants. Ce fait souligne toute la différence qui peut être envisagée pour cette période entre la maturité sociale de l'individu et sa maturité biologique. L'étude archéoanthropologique permettra d'approcher les principales pathologies liées à l'âge mais aussi d'ordre traumatique (qu'il s'agisse de simples fractures accidentelles ou d'éventuelles blessures de guerre) et l'état sanitaire de cette population. Des cas de violations et de réutilisation de monuments funéraires ont été relevés, non sans conséquences sur l'état initial des sépultures, et offrent l'occasion d'étudier la longévité du site et de son devenir. Bien qu'incomplète, la nécropole d'Hegenheim est exceptionnelle à plus d'un titre et offrira - après son étude - une lecture remarquable de son organisation spatiale et des grands monuments circulaires à tumuli. Ces riches tombes abritent vraisemblablement des chefs accompagnés de leur escorte en arme et de leur famille, assurant une mainmise sur le territoire de la haute plaine rhénane.
Avec la nécropole de Bâle-Bernerring, étudiée par M. Martin, celle d'Hegenheim constitue apparemment un autre exemple de consolidation étendue du pouvoir franc sur le royaume austrasien. Elle s'ajoute à la trentaine de nécropoles à tumulus recensées en Europe, de l'embouchure du Rhin vers son cours inférieur et celui du Danube.