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Amiens-Renancourt 1 (Somme)
Découvert en 2011 dans le cadre d’un diagnostic archéologique mené par l’INRAP, le site d’Amiens-Renancourt fait l’objet d’une fouille programmée en multipartenariat depuis 2014. Celle-ci a révélé une occupation préhistorique datée de 23000 ans. Les vestiges sont nombreux et variés, mais c’est surtout la découverte exceptionnelle de statuettes féminines, aussi appelés Vénus, qui fait d’Amiens-Renancourt, un gisement de première importance pour la connaissance des premiers Hommes moderne en Europe.
Amiens-Renancourt : un site archéologique remarquable
Situé à proximité de la confluence des vallées de la Selle et de la Somme, le gisement archéologique correspond à une concentration de vestiges remarquablement préservée à quatre mètres de profondeur. Grâce à la méthode du carbone 14, cet habitat a été daté de 23 000 ans avant le présent et peut être attribué à la culture du Gravettien. Cette culture s’étend dans toute l’Europe de 29000 à 21000 ans dans toute l’Europe. Toutefois, elle était très peu représentée dans le nord de la France. Il s’agit en effet d’un des rares témoignages de la présence d’Homo Sapiens au début du Paléolithique supérieur dans le nord de la France.
Un habitat très dense
Même si la fouille est toujours en cours, l’abondance et la diversité des vestiges recueillis nous éclairent sur les activités pratiquées dans ce campement de chasseurs paléolithiques. De nombreux silex ont été découverts avec des pointes de projectiles destinées à la chasse et de grandes lames transformées en outils (couteaux, grattoirs, etc…). La consommation de viande de cheval est attestée par de très nombreux restes osseux. Des éléments de parure ont également été trouvés dont des rondelles percées en craie très originales.
Le contexte climatique
Les vestiges ont été enfouis à la fin de la dernière glaciation sous plusieurs mètres de sédiments apportés par le vent (appelés loess). Les variations de couleur et de texture dans les couches de sédiments permettent de restituer de manière détaillée l’histoire climatique de notre région. Le niveau dans lequel se trouvent les vestiges est contenu dans une couche fortement déformée par des cycles gel-dégel, caractéristiques d’une légère amélioration climatique. Les chasseurs ont profité de cette période plus favorable pour s’installer dans le nord de la France.
Les statuettes féminines
Le caractère exceptionnel du site est la mise en évidence d’une production de statuettes féminines en craie. Au nombre de quinze pour le moment, elles sont entières ou fragmentées et mesurent entre trois à douze cm de hauteur. Elles ont été sculptées dans des blocs de craie tendre disponibles dans l’environnement immédiat du site. Plusieurs milliers de fragments de craie accompagnent ces sculptures et sont interprétés comme des déchets de fabrication.
La première statuette de 2014
La toute première statuette découverte en 2014 est la plus grande mise au jour actuellement. Elle mesure douze centimètres de haut et a été sculptée dans un seul bloc de craie. Fragmentée en 19 morceaux, elle pourrait avoir éclaté sous l’effet du gel ; seuls le haut du buste et la tête ont été retrouvés isolés, à quelques dizaines de centimètres. Après remontage, une grande partie de la figurine a été reconstituée, même si la partie inférieure gauche manque encore à l’heure actuelle.
Les caractères féminins sont très prononcés avec une poitrine opulente et des fesses exagérément projetées vers l’arrière. En revanche, la tête n’est représentée que par une simple sphère, sans détail anatomique, et les bras sont à peine esquissés.
La statuette de 2019
La dernière des statuettes, trouvée en 2019, illustre parfaitement l’ensemble des caractéristiques privilégiées par les sculpteurs gravettiens. Malgré une dimension réduite (4 cm de haut), les attributs féminins sont clairement mis en évidence, avec une poitrine opulente et des fesses exagérément projetées vers l’arrière. Le ventre est proéminent, évoquant peut-être une grossesse, et le nombril est souligné par une petite perforation. En revanche, les bras sont à peine esquissés et les jambes s’arrêtent au niveau du genou. À la différence des autres statuettes, celle-ci a la particularité d’avoir, au niveau de la tête, une coiffure signalée par de fines incisions disposées en quadrillage, réalisées probablement à l’aide du tranchant d’un silex taillé. Les incisions s’arrêtent pour délimiter l’espace du visage, mais aucun détail de celui-ci n’est représenté.
Ce type de coiffe rappelle des statuettes très connues du Gravettien, comme la Dame à la capuche de Brassempouy (Landes) ou la vénus de Willendorf (Autriche). Pour autant la plupart des statuettes de cette époque sont dépourvues de détail au niveau de la tête, rendant la nouvelle découverte d’Amiens-Renancourt particulièrement intéressante du point de vue esthétique.
Des témoignages de l’art gravettien
Les statuettes de Renancourt présentent des particularités stylistiques similaires aux Vénus gravettiennes connues du sud-ouest de la France à la Russie.
La découverte de ces statuettes est exceptionnelle à plusieurs titres. D’abord, ces objets sont rares. Seule une quinzaine de statuettes féminines gravettiennes étaient connues jusqu’alors. De plus, leurs excavations sont anciennes, la dernière ayant été trouvée en 1959 à Tursac (Dordogne). Plus largement, ce type de représentation féminine est connu jusqu’en Sibérie pour la culture gravettienne.
Une certaine unité stylistique se dégage de toutes ces Vénus, avec des attributs sexuels féminins très prononcés et un traitement simplifié des extrémités (tête et membres). Parmi les Vénus les plus connues de cette période, on peut citer la dame à la capuche de Brassempouy (Landes) ou encore la Vénus de Willendorf (Autriche), la Vénus de Laussel ou la Vénus de Lespugue (Dordogne). Dans l’état actuel de nos connaissances, la signification et la fonction des Vénus paléolithiques restent inconnues. Il est probable que ces statuettes, éloignées d’une représentation réaliste, constituent une expression symbolique de la femme et plus particulièrement de la fécondité.
Grâce à la fouille récente d’Amiens-Renancourt, il est enfin possible de replacer précisément les statuettes dans le temps et dans l’espace au sein du campement. Les multiples études en cours, rendues possibles grâce à l’état de conservation remarquable des objets, vont, à terme, renouveler les données scientifiques sur ces objets symboliques.
Le site de Renancourt a mis à jour très probablement un atelier de fabrication de statuettes féminines. Seuls quelques ateliers de ce type ont été révélés en Europe centrale et en Russie. Les stigmates de fabrication bien visibles et nombreux vont également permettre de reconstituer la chaine opératoire de réalisation de ces objets. L’objectif final pour les archéologues sera de comprendre le statut de ces objets au sein du campement et de proposer de nouvelles hypothèses d’interprétations concernant la fonction de ces Vénus.
Chronique
Préalablement à l'aménagement de la ZAC de Renancourt par Amiens Aménagement, une équipe d'archéologues de l'Inrap mène entre mars et août 2012...
Découvert en 2011, le site paléolithique de Renancourt 1, situé dans un quartier au sud-ouest d'Amiens, a fait l'objet d'une campagne de fouille...
À l'occasion d'une fouille programmée sur le site d'Amiens-Renancourt, une équipe de l'Inrap, en collaboration avec le CNRS, a mis au jour une...
Richard Rougier (DAST)
Didier Bayard, Emilie Goval (SRA)
Etude archéologique: Clément Paris (Inrap Nord-Picardie, UMR 7041 ArScAn équipe Ethnologie préhistorique)
Encadrement et collaborations scientifiques: Alain Boucher, Paule Coudret, Jean-Pierre Fagnart (Conseil Général de la Somme)
Etude stratigraphique: Pierre Antoine (Environnements quaternaires. Dynamiques naturelles et anthropisation», UMR CNRS 8591, Laboratoire de Géographie physique), Sylvie Coutard (Inrap Nord-Picardie, UMR CNRS 8591, Laboratoire de Géographie physique)
Etude malacologique: Olivier Moine (Environnements quaternaires. Dynamiques naturelles et anthropisation», UMR CNRS 8591, Laboratoire de Géographie physique).
Etude Archéozoologique: Jessica Lacarrière (UMR 7041, ArScAn), Olivier Bignon (UMR 7041, ArScAn)
Etude de l’industrie osseuse: Nejma Goutas (UMR 7041, ArScAn, équipe Ethnologie préhistorique)
Etude des parures: Caroline Peschaux (UMR 7041 ArScAn équipe Ethnologie préhistorique)
Etude tracéologique: Jérémie Jacquier (UMR 6566, CReAAH), Marine Michel (Univ. Liège)
Etude des statuettes: Emeline Deneuve ( Inrap/MCC, UMR 7194, MNHN)
Etude pétrographique: Vincent Delvigne (post-doc, Liège)
Datation OSL: Gilles Guérin (Laboratoire des Sciences du Climat et de l’Environnement LSCE/IPSL, CEACNRS- UVSQ)
Post Fouille: P. Mennesson