À l'occasion d'une conférence de presse ce mardi 17 septembre, l'Inrap a présenté l'état d'avancement des recherches archéologiques menées à Notre-Dame de Paris. L'institut œuvre depuis cinq ans à un programme d'opérations archéologiques, à l'extérieur et à l'intérieur de la cathédrale.

Dernière modification
09 octobre 2024

Au lendemain de l’incendie du 15 avril 2019, les archéologues sont intervenus au chevet de la cathédrale Notre-Dame de Paris. La loi d’exception du 29 juillet 2019 a confié à l’Inrap la responsabilité des interventions d’archéologie préventive. C’est donc sur prescription de l’État (Drac Île-de-France) en lien étroit avec l’établissement public chargé de la conservation et de la restauration de la cathédrale Notre-Dame de Paris (EPRND), maître d’ouvrage du chantier, que les équipes de l’Inrap œuvrent depuis cinq ans, à un programme de diagnostics et fouilles archéologiques, à l’extérieur et l’intérieur de la cathédrale. Ainsi plus d’une cinquantaine d’archéologues et spécialistes ont œuvré lors de 14 opérations.

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Vue générale de la fouille de la croisée du transept de Notre-Dame depuis les échafaudages.

© Denis Gliksman, Inrap

 

Fouiller à l’intérieur et à l’extérieur de Notre-Dame

Depuis les fouilles conduites à la croisée du transept en amont de la construction d’un échafaudage pour le remontage de la flèche, de nombreuses opérations archéologiques ont été menées par les équipes de l’Inrap, aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur de la cathédrale. Les découvertes qui en découlent renouvellent considérablement les connaissances sur Notre-Dame et sur l’histoire de l’île de la Cité. Elles documentent de manière ininterrompue 2000 ans d’histoire.

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Localisation des interventions archéologiques 2020 - 2024. En rose, les diagnostics ou fouilles ; en vert les prospection géophysique.

© Mathilde Ferrari, Inrap

Les niveaux les plus anciens remontent au commencement de l’Antiquité, avec la mise au jour de sols d’une demeure du tout début du Ier siècle, à 3,50 m de profondeur dans la cave Soufflot au cœur de la cathédrale. Pour le Bas Empire, ce sont des vestiges liés à de l’habitat et de l’artisanat (sols et bois incendiés) qui ont été découverts sous le parvis.

Les fouilles ont également permis d’identifier des vestiges du Moyen Âge, antérieurs à la construction de la cathédrale, dont un vaste bâtiment carolingien et un ou plusieurs édifices monumentaux.

Les recherches renouvèleront également les connaissances sur la construction même de la cathédrale. Pour la première fois ses fondations ont pu être observées : le monumental massif de fondation qui supporte les tours, mais aussi les fondations des piliers, reliés entre-eux par des longrines.

Le jubé : conservation et études

Construit vers 1230, le jubé de Notre-Dame est détruit au début du XVIIIe siècle pour répondre aux nouveaux usages liturgiques. Seule une quinzaine de fragments de sculptures avaient été précédemment découverts lors des travaux de Viollet-le-Duc. En 2022, plus de 1000 fragments de sculptures ont été mis au jour, dont plus de 700 éléments présentant leur polychromie d’origine avec des rajouts, des réparations, l’application de feuilles d’or… Ils représentent des personnages et des éléments architecturaux religieux. Le traitement des décors végétaux, des visages, cheveux et drapés ont permis de les attribuer au XIIIe siècle.

Les cathédrales étaient peintes, mais à Notre-Dame il ne subsistait presque rien du décor peint initial. Cette découverte exceptionnelle permettra une restitution du jubé, chef-d’œuvre de la sculpture gothique médiévale.

Ces sculptures polychromes conservent toujours l’éclat de la peinture du XIIIe siècle. Face à cette découverte, les enjeux de sauvegarde et d’étude présentent plusieurs défis. La préservation constituait l’urgence première puisque, dès la fouille, la peinture n’adhérait plus à la pierre. Les sculptures, enfouies depuis des siècles, étaient subitement soumises à des conditions différentes. Leur suivi sanitaire organisé avec la collaboration de la DRAC, du LRMH et du C2RMF a confirmé l’extrême fragilité des décors peints. En revanche, les pierres étaient saines, peu humides et aucun champignon pathogène ne s’y était développé. L’opération d’urgence de fixation de la polychromie et de nettoyage des blocs démarrée en 2024, s’achèvera au printemps 2025.

Les études commencent au fur et à mesure de la stabilisation des pièces. Elles associent, dans un programme collectif de recherche (PCR), des chercheurs de l’Inrap, du CNRS, du LRMH, du C2RMF, des Universités, de la DRAC et de l’EPRND. Ses objectifs sont triples : étudier le jubé sous tous ses aspects, proposer un remontage numérique, évaluer la part du jubé encore enfoui et diffuser fin 2026 les résultats de ces travaux. La valorisation de cette mission exceptionnelle débute dès 2024 par la présentation d’une trentaine d’éléments sculptés du jubé dans l’exposition « Faire parler les pierres. Sculptures médiévales de Notre-Dame» au musée de Cluny – musée du Moyen Âge.

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Décor peint : détail avec brocart appliqué après nettoyage et stabilisation de la polychromie du XIIIe s.

© Hamid Azmoun Inrap

Notre-Dame, espace funéraire

Comme tous les édifices religieux catholiques Notre-Dame de Paris est un lieu à vocation funéraire. Mais à la différence d’autres églises auxquelles un cimetière est rattaché, les inhumations se situent exclusivement à l’intérieur de la cathédrale.
Les travaux entrepris dans le cadre de sa restauration ont nécessité le percement de tranchées, impactant le sous-sol et ses sépultures. Les tombes mises au jour ont donc fait l’objet d’une fouille minutieuse. Les ossements ont été prélevés ainsi que les restes de certains cercueils en bois ou cuves en plâtre pour étude en laboratoire. Plus d’une centaine de sépultures ont été identifiées et 80 d’entre-elles ont été fouillées. Croisée du transept, réseaux intérieurs et carneaux, cave Soufflot : la majeure partie des zones a livré des sépultures, la plus forte densité se situant dans des collatéraux nord et sud de la cathédrale.

Dans les réseaux intérieurs, les inhumations en cercueil sont en bois cloutés. Plus de 20 % de ceux-ci ont été placés dans des cuves maçonnées en plâtre, les autres étant dans des fosses. Les individus sont inhumés en linceul, dont subsistent parfois quelques traces de tissus ou des épingles en alliage cuivreux.

Si l’on se fie aux préconisations de l’Église, l’orientation des sépultures laisse à penser que plus de la moitié seraient celles de laïcs (tête orientée à l’ouest), l’autre moitié étant composée de membres du clergé (tête à l’est, face aux fidèles).

La fouille de la cave Soufflot a également mis en évidence la présence d’inhumations : quatre défunts (deux adultes, un enfant, un adolescent) auxquels s’ajoute une réduction de sépulture. Une datation radiométrique déterminera si elles sont antérieures à la cathédrale gothique. Dans un angle, une fosse contenait neuf cercueils anthropomorphes en plomb en position secondaire, alignés et empilés, dans des états de conservation variables. Il est fort probable qu’ils aient été transférés de l’intérieur de Notre Dame vers cette crypte lors des travaux du XVIIIe ou du XIXe siècle.

D’une manière générale, la gestion de l’espace funéraire se traduit par de nombreuses réutilisations de fosses ou de cuves et peu de recoupements de sépultures entre-elles. Les sépultures sont utilisées comme des caveaux : rouvertes elles servent plusieurs fois. Les ossements en place sont enlevés et souvent replacés sur le nouveau cercueil.

Presque tous les individus mis au jour à l’intérieur de Notre-Dame sont des adultes. La plupart d’entre-eux présentent des pathologies liées à la sénescence comme l’arthrose, l’édentation ou l’ossification des cartilages qui témoignent d’une population plutôt âgée. Enfin, à une exception près, tous les squelettes sont de sexe masculin. Sans surprise, ce constat reflète une population attendue dans une cathédrale : religieux ou laïcs issus des classes privilégiées.

Tous les squelettes exhumés font l’objet d’une étude anthropologique exhaustive. Par ailleurs des datations radiocarbones, des analyses paléogénomiques et des analyses isotopiques seront entreprises afin de reconstituer l’origine géographique et la mobilité des individus.

Les squelettes de la croisée du transept : identification

Les deux sarcophages de plomb mis au jour à la croisée du transept ont été fouillés en 2022 à l’institut médico-légal du CHU de Toulouse. Si l’identification du chanoine Antoine de La Porte avait été facilité par l’épitaphe figurant sur son cercueil, l'autre défunt restait anonyme.

L’UMR 5288 de l’Université Toulouse III/CNRS et  le professeur Eric Crubézy ont entrepris une recherche pluridisciplinaire et proposent des pistes d’identification :
« L’individu anonyme est décédé d'une méningite chronique tuberculeuse au XVIe siècle dans sa quatrième décennie, un âge peu représenté parmi les inhumations de sujets d’importance dans la cathédrale. Cet inconnu, autopsié et embaumé, intrigue car il repose dans une zone spécifique où, à part Antoine de La Porte, aucune autre tombe intacte n’a été découverte. Les recherches suggèrent qu'il pourrait avoir réoccupé une tombe ayant accueilli deux personnes bien connues à leur époque, mais sans titres religieux un peu exceptionnels. Notre attention s'est portée sur Joachim du Bellay, cavalier émérite, poète tuberculeux, décédé en 1560, dont l'autopsie avait révélé des signes de méningite chronique. Inhumé dans la cathédrale alors qu’il n’en était même plus chanoine, sa tombe n'a pas été retrouvée en 1758 près de celle de son oncle, bien que la famille souhaitât qu'il soit inhumé à ses côtés. Cette situation crée une discordance entre l'accord du chapitre, qui choisissait les lieux d’inhumations à Notre-Dame, et l'emplacement dans la croisée du transept. Deux hypothèses argumentées sont avancées : une sépulture transitoire devenue permanente ou un transfert de son cercueil lors d’une autre inhumation, en 1569, après la publication de ses œuvres complètes. »

 
 

Aménagement : Établissement public chargé de la conservation et de la restauration de la cathédrale Notre-Dame de Paris
Contrôle scientifique : Service régional de l’archéologie (Drac Île-de-France)
Prescription : SRA - Drac (Dorothée Chaoui-Derieux)
Recherche archéologique : Inrap
Responsables scientifiques d’opération Inrap : Christophe Besnier, Hélène Civalleri, Camille Colonna, Patricia Guinchard-Panseri, Guillaume Hulin, Xavier Peixoto, Agnès Poyeton, Boris Robin