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Grand Fond
L'opération de fouille préventive de Saint-Paul, Pointe des Aigrettes-Grand Fond, se trouve au nord-ouest de la côte - sous- le vent de l'île de La Réunion, à environ 500 m en amont du littoral constitué de plaques coralliennes. Elle concerne les installations industrielles de l'ancien établissement sucrier de Grand Fond, à l'exception du périmètre protégé où se trouve la cheminée et deux bâtiments encore en élévation.
La fouille s'inscrit dans la continuité du diagnostic archéologique mené par Thomas Romon (Inrap) en 2013 sur la totalité de l'emprise du projet immobilier, soit une superficie de 20 000 m². Ses résultats ont permis de circonscrire la fouille à un espace de 4 700 m² où se concentraient la majorité des vestiges qui présentaient trois phases de construction. La fouille devait donc permettre de dresser l'évolution des différents bâtiments, tout en apportant des précisions sur leurs fonctions respectives et plus largement sur l'organisation et l'histoire d'un établissement sucrier de taille moyenne de l'île Bourbon aux XIXe et XXe siècles.
Outre un bâtiment en parpaing de la seconde moitié du XXe s., le décapage à la pelle mécanique a permis de reconnaitre quatre bâtiments faisant partie de l'établissement sucrier ainsi qu'une structure circulaire inédite appartenant à une phase d'occupation antérieure à la construction des édifices du site. Cet ensemble est complété par un important réseau hydrographique qui témoigne du souci de canaliser et de domestiquer l'eau dans cette partie sèche de l'île, tout en utilisant la ravine qui s'écoule à une trentaine de mètres au sud des bâtiments comme déversoir. Il est vraisemblable que ce réseau s'organise en amont du site à partir d'une prise d'eau située au niveau des trois bassins naturels (Malheur, Aigrettes et Cormorans).
Phase ancienne (début du XIXe siècle ?)
Une aire de foulage ?
Le premier aménagement correspond à une grande structure circulaire de 6,40 m de diamètre constituée de deux couronnes de pierres volcaniques conservées sur une assise et formant une rigole de 30 cm de large. L'espace central nivelé avec du sable et du mortier de chaux est doté d'un creusement circulaire au fond duquel se trouve une maçonnerie comportant un négatif circulaire de 20 cm de diamètre pouvant correspondre au logement d'un axe vertical. L'ensemble a été condamné et remblayé avec des petits blocs décimétriques que l'on retrouve également dans la rigole périphérique. Il est possible que cette structure corresponde à un dispositif de meule verticale mue par un axe central autour duquel gravitait un manège à bête, mais ce type de procédé n'est pas compatible avec le pressage de la canne et le dispositif du moulin habituellement utilisé pour cette opération. Des analyses de sédiments devraient permettre de préciser sa fonction, mais il est probable qu'il corresponde à une production antérieure à la fabrication du sucre sur la propriété, denrée qui devient majoritaire à La Réunion seulement à partir du début du XIXe s. après les déconvenues de la culture du café (maladies, cyclone). Pour l'heure, l'absence de mobilier associé interdit toute datation mais une recherche en archive devrait apporter quelques éclaircissements sur la date de sa construction.
Un réseau hydrographique dense
Parallèlement à cette structure, la phase ancienne du gisement correspond à l'aménagement des différentes conduites et canalisations, généralement constituées de deux murets parallèles montés en pierres sèches sur lesquels reposent de grandes dalles de couverture taillées grossièrement dans la roche volcanique locale. Une conduite se différencie toutefois de cet ensemble par sa mise en oeuvre plus soignée. Sa construction a nécessité la mise en place d'un coffrage en planches dans lequel a été coulé du mortier hydraulique pour constituer une dalle et des parois parfaitement lisses. À l'exception de la canalisation occidentale (CAN 115), qui longe le nord les bâtiments 2 et 3 et qui était contemporain de son activité, tous ces aménagements ont été recoupés et abandonnés lors de la construction des édifices de l'établissement à la phase suivante.
Deuxième phase : développement et évolution de l'activité industrielle
Les quatre bâtiments identifiés sur le site sucrier sont répartis en deux groupes distincts. Le premier, composé de deux grands édifices rectangulaires (BAT 1 et 2) et d'un troisième de plan carré (BAT 3), est localisé à proximité de la cheminée, près de la limite de la fouille, alors que le second groupe compte un édifice (BAT 4) à plusieurs compartiments dont la partie sud a été partiellement emportée par la ravine. Tous sont construits de la même manière, à savoir des fondations - bahuts sur lesquelles sont édifiées les élévations en pierres volcaniques grossièrement équarries sur une face. Ces pierres sont posées en parements assisés avec un blocage central constitué par les éclats de taille des blocs extérieurs. L'ensemble est lié au mortier de sable et de chaux sans doute fabriquée sur la propriété - un four à chaux étant mentionné dans l'inventaire de la propriété de 1878. Les couvertures étaient en matériaux périssables (bardeaux, feuilles de cadère), aucune tuile n'étant conservée sur le site.
Si la construction 4 a subi peu de transformation, en revanche celles du groupe nord ont été agrandies, ce qui a fragilisé les fondations nécessitant l'ajout de contreforts maçonnés durant la seconde phase de leur utilisation. Le bâtiment 3 a été arasé et un grand mur a été adjoint au bâtiment 2 pour former une plateforme de circulation afin de compenser le dénivelé du terrain. Le bâtiment 1 offre la durée d'utilisation la plus longue, comme le montrent les multiples réfections, telles que les perforations des façades destinées à faire passer des tuyaux et le renforcement des angles avec du béton. La photo aérienne de 1950 montre qu'il était encore couvert de tôles et donc en usage à cette époque. Après la fermeture de la sucrerie en 1895, la propriété a continué à produire de la canne qui était acheminée à l'usine de Savanna à Saint-Paul, ce qui était le sort des nombreux autres établissements du secteur. Enfin, son histoire industrielle s'arrête définitivement après la Seconde Guerre mondiale pendant laquelle une tuilerie a brièvement vu le jour.
Pour l'heure, il est délicat de déterminer la fonction exacte de ces différents édifices mais les pièces métalliques découvertes en situation secondaire, telles qu'un support de moulin à canne, plaident clairement en faveur d'une vocation dédiée à la fabrication du sucre. Les différentes modifications des bâtiments sont liées à l'évolution des techniques, avec notamment l'introduction de la machine à vapeur comme force motrice mais également comme procédé de dessiccation.
Cette première fouille terrestre réalisée sur l'île de La Réunion va s'accompagner d'une recherche en archive afin de documenter l'histoire de cet établissement de Grand Fond et plus largement contribuer à l'enrichissement des connaissances sur le patrimoine industriel de l'île, soumis à une très forte pression immobilière et dont l'approche archéologique débute à peine.