À l’occasion des 20 ans de l’Inrap , le dessinateur Jul, l’auteur de la série de bande dessinée Silex and the city, porte un regard engagé sur les atteintes pour notre patrimoine que représente l’utilisation incontrôlée d’un détecteur de métaux. 

Dernière modification
24 mars 2022

Dès que l’on prospecte avec un détecteur de métaux, le signal émis en présence d’un objet métallique incite à creuser le sol pour le dégager : sorti de son contexte archéologique, on perd toute possibilité de l’étudier correctement (datation, usage…), comme on perd une compréhension du site dans son ensemble. L’archéologie écrit l’histoire, le pillage l’efface. C’est pourquoi, sans autorisation légale, cet acte est susceptible de poursuites au titre du code du patrimoine et du code pénal.

Affiche de Jul

© Jul

 

Un patrimoine archéologique très réglementé

La Convention européenne pour la protection du patrimoine archéologique définit ainsi le patrimoine archéologique (Convention de Malte, 16 janvier 1992) : « Sont considérés comme éléments du patrimoine archéologique tous les vestiges, biens et autres traces de l'existence de l'humanité dans le passé […]. Sont inclus dans le patrimoine archéologique les structures, constructions, ensembles architecturaux, sites aménagés, témoins mobiliers, monuments d'autre nature, ainsi que leur contexte, qu'ils soient situés dans le sol ou sous les eaux. »
En France, le patrimoine archéologique est réglementé, pour protéger ce bien fragile et non renouvelable, par trois codes principaux : le Code du patrimoine (dont le livre V concerne exclusivement l’archéologie), le code pénal qui définit les infractions (contraventions, délits et crimes) pouvant concerner le patrimoine et le code des douanes, définissant les infractions concernant la circulation et la détention régulière des biens culturels et des trésors nationaux (à l’importation, à l’exportation et à la circulation). Les infractions aux codes du patrimoine, pénal et douanier peuvent être cumulées dans le cadre d’une procédure judiciaire et sont regroupées dans un tableau récapitulatif des infractions (téléchargeable sur le site du ministère de la Culture) couvrant notamment les vols d’objets archéologiques (dont le pillage sur un site), les dégradations et les destructions, les intrusions sur des sites, chantiers et musées archéologiques, le recel ou le commerce illicite sur le territoire national, vers ou en provenance de l’étranger d’objets archéologiques volés ou issus de fouilles archéologiques clandestines (achat et vente, en ligne, entre particuliers, chez un marchand, dans les brocantes ou les vides greniers, etc.), la non tenue d’un livre de « police » par un professionnel et tout type d’actes de violence ou d’agression envers le personnel de l’Institut (dans le cadre d’un délit flagrant de fouille clandestine, de dégradation de patrimoine archéologique, etc.).

La « chasse aux trésors »

Le trafic illicite des biens culturels alimente une économie criminelle correspondant au troisième trafic mondial après celui de la drogue et des armes. Ce trafic entraîne des dommages importants pour le patrimoine mondial, et plus particulièrement pour les biens archéologiques de certaines régions du monde, particulièrement celles qui sont touchées par des conflits armés, comme la Syrie, la Libye ou encore l’Irak où ces actes sont devenus une source de financement importante pour les groupes criminels ou terroristes. Toutefois, il n'y a pas qu'au Moyen-Orient que les sites archéologiques sont pillés. Le phénomène se développe de plus en plus en France sur l'ensemble du territoire, aussi bien à terre qu’en mer (fonds marins devenus accessibles grâce au développement des techniques de plongée). De nombreux services archéologiques, des opérateurs et des propriétaires publics ou privés ont déjà été confrontés ou victimes d’atteintes au patrimoine archéologique.

Par l’intérêt qu’elle suscite et par certains fantasmes qu’elle engendre, la recherche archéologique n’attire pas qu’un public bienveillant. Ce trafic n'est plus l'affaire uniquement des professionnels du banditisme ou des bandes organisées et la plupart des pillages de patrimoine archéologique et des fouilles sauvages sont le fait de pilleurs amateurs ou de « chasseurs de trésor » opérant en général avec un détecteur de métaux (« poêle à frire »). Ces prospecteurs se constituent des collections personnelles illégales, voire un complément pécuniaire illicite non négligeable. En effet, les objets pillés sont ensuite, la plupart du temps, revendus de manière occasionnelle ou organisée, notamment auprès de marchands peu regardants, sur des forums et réseaux sociaux ou sur des sites de vente en ligne. Cette activité illicite se caractérise par une grande opacité et bénéficie actuellement en France d'une certaine banalisation. Les « prospecteurs du dimanche » agissent sous le couvert d’idées reçues (« Ici, ce n'est pas un site archéologique », « ce n'est pas vieux, ce n'est pas de l'archéologie », « on ne creuse pas profond », « J’ai l’autorisation du propriétaire », « Je suis chez moi », « J’utilise un aimant et pas un détecteur », « je ne vole pas, je sauve le patrimoine », « je ne fais pas de mal, je dépollue », etc.), mais n’en commettent pas moins des infractions graves, encourant jusqu’à 100 000 euros d’amende et 7 ans d’emprisonnement…

Pourquoi c’est grave ?

De la pointe de flèche de l’âge du Bronze à la plaque d’identité d’un soldat perdu de la Seconde Guerre mondiale…tout est sujet à pillage chez ces « collectionneurs », « passionnés » et revendeurs. Or, une fouille archéologique est une activité scientifique complexe et réglementée qui s’apparente à une enquête sur une scène de crime où chaque indice, chaque place qu’occupe cet indice, peut s’avérer essentiel. Les impacts du pillage sont donc de plusieurs types, notamment :

  • Perturbation, destruction de niveaux ou de vestiges archéologiques, à cause de trous ou de « fouilles » sauvages sans aucune réflexion et méthodologie scientifiques (dans le cas d’une opération archéologique, les niveaux ne sont plus « protégés » par la couche de terre végétale) ;
  • Perte de l’objet pour le grand public, la recherche archéologique, pour le patrimoine et pour de futures études ;
  • Perte pour l’objet de son contexte archéologique, et inversement. ;
  • Problème de conservation des objets nécessitant des traitement spéciaux (radiographies, stabilisation), notamment des objets métalliques soumis à une très forte oxydation à leur sortie de terre, etc.
     

Au-delà de la valeur financière de l’objet volé, le pillage et le trafic représentent des pertes irrémédiables de données archéologiques. Chaque strate archéologique mise au jour est en effet une page d’histoire dans le temps et l’espace offrant des repères d’un patrimoine et d’une histoire commune, à partager avec le plus grand nombre et à transmettre aux nouvelles générations. Le pillage revient à déchirer des pages de notre histoire.

Afin de préserver les biens et vestiges archéologiques d’une destruction certaine, l’Institut mène une active politique de prévention et de sensibilisation du public sur ses chantiers et au niveau national. Dans le cadre de ces actions, l’affiche conçue par Jul, « L’archéologie écrit l’histoire, le pillage l’efface », sera largement diffusée par les partenaires éducatifs et culturels de l’Institut en vue de sensibiliser les jeunes publics aux enjeux fondamentaux et citoyens de la protection du patrimoine et de la démarche archéologique…la vraie !

Source : Frédéric Devevey, Inrap