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Le stratotype culturel territorial
Ce deuxième séminaire scientifique et technique s’est tenu à Caen, à l'auditorium du château, les 28 et 29 septembre 2017. Il a été organisé par l'Inrap (David Flotté et Cyril Marcigny) avec le soutien du département du Calvados et de la Mairie de Caen.
À travers la présentation d’une opération de diagnostic menée par nos soins, dans le département de La Manche (50), sur le contournement de Marcey-les-Grèves (Flotté, 2014), nous souhaitons soumettre à la critique l’intérêt scientifique que pourrait avoir la constitution routinère de « stratotypes culturels territoriaux » au cours des opérations archéologiques.
Auteur et intervenant
- David Flotté, chargé d'opération et de recherche, Inrap Normandie
Co-auteurs
- Loïc Ménager, assistant d'étude et d'opération, Inrap Normandie
- Laurent Vipard, assistant d'étude et d'opération, Inrap Normandie
Cet outil, qui s’apparente à un tableau chronologique à indicateurs multiples, vise à ordonner chronologiquement et morphologiquement l’ensemble des vestiges mis au jour lors d’une opération de diagnostic. Son but est de mettre en évidence l’éventuelle existence de signatures territoriales. Dans ce cadre, deux stratotypes culturels territoriaux synchrones différents signeraient l’existence de deux territoires à significations taphonomiques et/ou culturelles différentes. Sa méthode repose sur une analyse immanente des vestiges essentiellement à l’aide de la technique chrono-stratigraphique, consubstantielle à l’archéologue. Cette analyse, permanente en ses principes, est menée depuis la micro échelle de la structure, en passant par l’échelle intrasite, jusqu’à sa généralisation à la macroéchelle intersites, celle d’un territoire.
La nécessité d’un d’ordonnancement nouveau des vestiges nous est d’abord venue d’un constat simple : l’ensemble des vestiges mis au jour et portés à l’inventaire n’est généralement pas intégré dans une grille d’interprétation générale. Certains, parce qu’ubiquistes ou sans mobiliers, ou parce qu’ils sont « récents » sont renvoyés dans les limbes, intégrés à aucune phase, laissés en noir sur les fonds de plan, jugés inexploitables dans le cadre archéologique préventif. Les fossés parcellaires (qui nous intéressent spécialement) sont typiques de ces structures aussitôt découvertes aussitôt disparues, alors qu’ils sont fréquents et parfois nombreux dans les tranchées de diagnostic de la région. L’existence de tels restes sont le signe d’un défaut. Il nous semble que la cause de cet état de fait soit à chercher dans l’exercice quasi exclusif d’une archéologie de corpus chrono-fonctionnels (formes de l’habitat, des nécropoles, de la culture matérielle à telle ou telle période par exemple). Cette archéologie, non seulement fondatrice mais indispensable, vise à donner aux vestiges une position dans un corpus (théoriquement évolutif) et à définir des composantes élémentaires, puis à observer des régularités et des variations dans leur distribution au cours du temps et à travers l’espace, afin de caractériser, une à une, les périodes archéologiques. Nous utilisons bien évidemment l’approche en corpus pour l’établissement des stratotypes culturels territoriaux.
Toutefois, il nous semble qu’il reste la possibilité d’ouvrir la porte à une dimension supplémentaire, constitutive des vestiges, celle d’une archéologie fondée sur la position des vestiges dans le monde. La position dans le monde (contrairement à la position d’un site dans un corpus, car les corpus n’ont pas de position) a cette propriété fondamentale d’être unique. Dans l’espace newtonien où évolue l’homme étudié par les sciences sociales, une chose, un lieu ne peut être ici et ailleurs dans le même temps. L’ubiquité n’y a pas cours : il s’ensuit que deux lieux ne peuvent pas avoir les mêmes coordonnées géographiques et ne peuvent être identiques. C’est à partir de ce caractère unique du lieu, en coordonnées et en morphologie, que l’approche en stratotype culturel territorial trouve sa justification et le socle de son discours. Dans cette approche, les vestiges, quel que soit leur intérêt sur le plan de la recherche en corpus, peuvent tous être envisagés dans la perspective des relations qu’ils ont entretenu avec les autres vestiges et des processus auxquels ils ont participés.
Le rapport de diagnostic sur le linéaire de Marcey-les-Grèves a été pour nous l’occasion de formuler pour la première fois ce que nous entendons par « stratotype culturel territorial ». Il s’agit essentiellement d’une prise de position reposant sur quelques partis-pris qui fondent un biais voulu et mesuré. Tout d’abord nous considérons que l’emprise diagnostiquée a le statut d’échantillon d’un territoire, c'est-à-dire qu’elle est représentative d’un territoire. Ensuite nous avons choisi d’interpréter les fossés parcellaires fossiles (qui sont 80 % des vestiges mis au jour) ainsi que les traits cadastraux napoléoniens à partir des traits cadastraux actuels, sur des critères de concordance/discordance ou d’identité/différence. Les vestiges d’habitat ont été identifiés selon leur type dans la logique de l’archéologie de corpus (enclos, ouvert …), et leur position (plateau, haut de versant …) est évoquée. Des associations, sur critères simples, sont proposées entre les habitats et les parcellisations de l’espace, entre les concentrations de structures fossoyées ponctuelles et les structures fossoyées linéaires. À partir de ce travail de tri et de comparaison, des constantes apparaissent sur l’ensemble de l’emprise : des successions semblables de phases d’occupation longues sont mises en évidence, jusqu’à nos jours et sur le plan des habitats, certaines périodes se manifestent spécifiquement alors que d’autres restent muettes sur toute l’emprise.
Cela fait, nous avons comparé et compilé ce stratotype avec une série de stratotypes culturels que nous avons établis à partir des résultats des opérations de diagnostics et de fouille qui se sont déroulés ces vingt-cinq dernières années sur le territoire échantillonné par le contournement de Marcey-les-Grèves. Nous constatons globalement une franche similitude des successions et des morphologies de vestiges ainsi que les mêmes singularités chronologiques dans les habitats. Choses dont nous discuterons.
Nous nous proposons enfin de discuter de l’intérêt et du potentiel de cette forme d’ordonnancement des informations. Nous évoquerons l’étagement des temporalités qu’il permet de mettre en évidence, chacune d’elle recelant probablement un potentiel informatif spécifique. Nous aborderons aussi sa qualité première qui est celle d’être une grille d’enregistrement ouverte, capable (pour peu que ces données soient ancrées dans le temps, ce qui le propre des sciences historiques) non seulement d’accueillir les données naturelles et environnementales en son sein mais aussi de les articuler en vue de les corréler avec les données historiques. La mesure, cruciale, de la responsabilité respective des facteurs taphonomiques et/ou culturels dans la morphologie d’un stratotype culturel territorial s’en trouve facilitée.
En complément de l’approche classique en corpus, la grille interprétative ouverte qu’est un stratotype territorial culturel établit le cadre pratique et praticable d’une approche transdisciplinaire routinière du développement humain, en rapport avec le lieu de son expression.