Yann Deberge (Inrap) et Thomas Pertlwieser viennent de publier Les Fortifications de l’oppidum de Gergovie – Bilan historiographique & nouvelles recherches (VIe et Ve s. av. J.-C. et Ier s. ap. J.-C.). Cet ouvrage (608 p.) présente un bilan actualisé des découvertes réalisées sur l’oppidum de Gergovie depuis le XVIIIe siècle, sur ses fortifications, ses vestiges domestiques et funéraires, tout en prenant en compte le contexte environnant du bassin clermontois de la fin du Ier âge du Fer à la fin du règne d’Auguste.
Archéologue protohistorien, Yann Deberge revient sur les découvertes reliées aux fortifications de l’oppidum célèbre pour avoir résisté aux assauts des armées de Jules César.

Dernière modification
12 mars 2021

Qu’est-ce qui vous a amené à travailler sur le site de Gergovie ?

Je travaille actuellement sur le site protohistorique de Pontcharraud à Clermont-Ferrand (fouille placée sous la direction de F. Prodéo), qui fait partie de l’une des plus vastes et une des plus anciennes agglomérations gauloises d’Europe. Elle couvre approximativement 150 hectares et se développe du début du IIIe siècle avant J.-C. à la fin du siècle suivant. Le site livre également les vestiges d’une occupation domestique du Néolithique ancien et d’une nécropole du Néolithique moyen. Nous fouillons une parcelle d’un hectare soit approximativement un peu moins 1% de la surface totale estimée du site. Pour la période gauloise, les vestiges couvrent l’intégralité du IIe siècle avant J.-C. Je m’intéresse plus globalement à la question de la proto-urbanisation à l’âge du Fer avec pour secteur d’étude privilégié le sud de la plaine de la Grande Limagne qui correspond au cœur de la cité des Arvernes. La période des IIIe-IIe siècles correspond à une phase de densification de l’occupation de la Grande Limagne, qui est une plaine agricole fertile, concomitante de l’apparition des premières agglomérations. Le secteur que nous fouillons à Pontcharraud participe pleinement de ce phénomène. Il appartient au site connu dans la littérature archéologique sous le nom de « site d’Aulnat » ou de « Gandaillat/La Grande Borne », situé en réalité en périphérie est de Clermond-Ferrand, qui est la première agglomération à voir le jour en Auvergne, au début du IIIe siècle avant J.-C. Plus récemment, apparaissent les oppida de Corent et de Gondole, et enfin, l’oppidum le plus récent : Gergovie. Paradoxalement, bien que le site de Gergovie soit le plus connu, il a été assez peu fouillé.

Cela signifie-t-il qu’on ne s’intéressait pas à Gergovie ?

La question de la localisation de l’oppidum cité par Jules César dans la Guerre des Gaules est un enjeu d’érudition depuis la Renaissance. Comme pour Alésia ou d’autres sites mentionnés dans le récit césarien, les érudits locaux se sont piqués à ce jeu. Des localisations diverses ont été proposées, et continuent de l’être. Ont été ainsi proposés comme candidats potentiels Clermont-Ferrand, Saint-Flour ou encore Moulins… L’argument toponymique a toutefois conduit certains cartographes à retenir finalement le plateau basaltique situé immédiatement au sud de Clermont-Ferrand comme candidat le plus sérieux. Le toponyme « Gergovia » est en effet attaché à ce relief depuis le milieu du Moyen-Âge, sous des formes diverses (Girogia, Gergoia), ce dont témoignent une série de chartes du Xe siècle. Les premières fouilles qui s’y déroulent au XVIIIe siècle confirmèrent la présence de vestiges gaulois sur le plateau de Gergovie de même que celles réalisées en 1861. Ces dernières, commanditées par Napoléon III, sont toutefois restées sans suite, l’empereur ayant été plus attaché à la détection des fortifications installées sur ordre de Jules César au pied de l’oppidum en 52 avant J.-C. Les opérations archéologiques d’ampleur menées par le baron Stoffel ont permis dès 1862 d’avoir le plan d’ensemble du dispositif césarien. Dans les années 1930, c’est l’inverse : les investigations se sont centrées sur l’oppidum gaulois et elles ont permis de mettre au jour une partie du rempart, une probable domus (connue sous le nom de « villa Aucler ») et une partie du sanctuaire. Les fouilles des années 1940 ont été menées sur des surfaces comparables et elles ont permis de mettre en évidence des vestiges d’habitat et d’artisanat nombreux au centre et sur le rebord sud du plateau témoignant d’une occupation dense dès avant la période augustéenne. Pour importantes qu’elles ont été, ces premières recherches, conduites entre 1860 et 1940, ont porté sur une surface cumulée d’à peine plus de 5000m2. Par la suite, il ne s’est quasiment rien passé sur le site pendant un intervalle de plus de cinquante années.

À quand remonte ce regain d’intérêt pour Gergovie ?

Le site de Gergovie a connu quelques investigations très ponctuelles, sous la forme de quelques sondages, dans les années 1980-1990. Le site intéressait mais il était au cœur de débats locaux très passionnés. Il y a eu une normalisation à partir des années 2000 qui s’est traduite par une série de programmes de recherche qui ont complètement renouvelé notre vision du site. Le premier, conduit entre 2001 et 2008 par Thomas Pertlwieser (Association pour la Recherche sur l’âge du Fer en Auvergne et Université de Vienne), celui qui fait l’objet du livre, a concerné les fortifications de l’oppidum. Le second, conduit par Magali Garcia (ARAFA) de 2006 à 2012, a porté sur le sanctuaire lui-même. Le troisième, conduit par Peter Jud (Association du Site de Gergovie) se concentre sur le sur le secteur de la « Porte sud » et le centre du plateau. Nous avons aujourd’hui une meilleure connaissance de l’ensemble du site, bien que les nouveaux dégagements opérés depuis 1985 ne totalisent à ce jour que 8000 m2.

Quelles sont les nouvelles données que vous avez acquises avec Thomas Pertlwieser sur l’oppidum ?

Nous avons mis en évidence une première fortification, antérieure au rempart de la guerre des Gaules. Elle date des VIe-Ve siècles avant notre ère. C’est la raison pour laquelle, dans le titre du livre, nous parlons de « fortifications » au pluriel. La présence d’une fortification sur Gergovie à cette période, nous renvoie à un modèle d’organisation qui a émergé au passage des Ier et IIe âges du Fer, avec un centre de pouvoir qui contrôlait le territoire alentour. On pourrait le comparer aux sites de Bourges ou de Vix… où pareillement, on trouve un site fortifié, avec alentour des fermes et des hameaux artisanaux. Il est possible que la première forteresse de Gergovie renvoie à ce schéma d’organisation territoriale que l’on trouve assez largement au nord des Alpes. Les caractéristiques de cette première fortification sont également intéressantes : c’est un rempart en pierre à poutrage vertical en façade. Le rempart n’est pas très haut, 2,5 m, mais il est précédé d’un escarpement taillé dans le droit de la roche, ce qui fait que l’obstacle atteint entre six et sept mètres de hauteur au total. Ce dispositif de défense avec un escarpement ménagé artificiellement est relativement unique pour le Ier âge du Fer.

Et concernant le rempart mentionné par César ?

L’ouvrage le plus récent, celui que César a vu, a été édifié sur les ruines de l’ancien rempart dont la période de fonctionnement n’a pas dépassé la fin du Ve siècle avant J.-C. Ce second rempart, probablement édifié dans les années 60 avant notre ère, est, par son architecture, encore un ouvrage atypique. Il s’agit d’une muraille à double parement de pierres sèches, de deux mètres de largeur environ, qui est pourvue de courts murets disposés perpendiculairement et à intervalles rapprochés sur sa face interne. Ces « éperons », également bâtis en pierres sèches, étaient destinés à supporter un plancher qui venait doubler ainsi la largeur de la courtine. Le chemin de ronde de Gergovie devait ainsi avoir de quatre à cinq mètres de largeur. Ce modèle architectural, inédit en Gaule non méditerranéenne, trouve son origine en Grèce hellénistique. Il s’est diffusé progressivement en Méditerranée occidentale pour finalement arriver en Gaule du sud. Il est rare. Un seul autre exemple est connu en Gaule sur l’oppidum des Caisses de Jean-Jean à Mouriès (Bouches-du-Rhône). C’est une découverte assez troublante, à une époque où les remparts gaulois semblent plutôt correspondre à des dispositifs à poutrage interne, tel que le murus gallicus décrit par César. On doit faire l’hypothèse que les Arvernes étaient en contact assez étroits avec des grecs, qui sont installés de longue date sur le littoral provençal, à moins que des architectes grecs ne soient venus sur place guider la construction de cette muraille. Bien que le modèle architectural soit grec, le mode de construction est d’exécution assez sommaire à Gergovie. La muraille n’est pas construite comme à Emporion ou à Mouriès avec de gros blocs disposés régulièrement, mais avec un appareillage irrégulier fait de blocs de petit et moyen modules. Nous n’avons pas non plus découvert d’indices d’un recours à la technique du poutrage interne pourtant largement utilisée en Gaule à cette époque. Ces particularités, qui font du rempart de Gergovie un exemple relativement unique, s’expliquent peut-être par des contraintes de ressources. Il y a beaucoup de basalte à Gergovie et très peu de terre. On sait également, grâce aux nombreuses études paléoenvironnementales conduites localement, que dès cette époque le couvert forestier avait quasiment disparu dans le bassin clermontois.

Ce dispositif défensif était-il efficace ?

Le rempart devait avoir environ 3 m de hauteur auxquels s’ajoutent les 4 m de l’escarpement artificiel taillé dans le rebord du plateau. La fortification atteint finalement environ 7 m de hauteur. La topographie fait qu’on ne pouvait y accéder avec des machines de siège et la seule façon de prendre l’ouvrage était d’y envoyer des hommes pour l’escaler. César a tenté un assaut frontal. Le récit césarien de l’assaut sur Gergovie indique que des légionnaires ont réussi à l’escalader et à prendre pied sur le parapet. Malgré cela, l’assaut romain a été repoussé ce qui montre que l’ouvrage défensif de Gergovie, et plus largement le système défensif mis en œuvre par Vercingétorix, ont bien fonctionné. C’est une des rares défaites de César au cours des huit années de la guerre des Gaules. Il y a perdu au moins 700 hommes, chiffre probablement minoré, dont 46 légionnaires, et a levé le siège dans les jours qui ont suivi dans ce qui ressemble beaucoup à une retraite.

Combien de temps cette muraille est-elle restée en usage ?

L’ouvrage a été construit peu de temps avant la guerre des Gaules sans qu’il soit possible de dater précisément cette phase de construction. Il est resté en usage jusqu’à la fin du règne d’Auguste. C’est précisément au cours de la période augustéenne que l’une des portes a fait l’objet d’une reconstruction totale. Cette nouvelle porte présente un plan, avec un couloir d’entrée flanqué de deux bastions, et des techniques de construction (mortier de chaux, couverture de tuiles…) indubitablement romains. Ses bâtisseurs ont toutefois pris le soin de conserver l’orientation de l’ancienne porte avec son couloir d’accès désaxé. La porte romaine s’ancrait également dans la muraille à éperons, indice que cette dernière était encore en usage au moment de sa construction. La fortification de Gergovie a été utilisée jusqu’à la fin de la période augustéenne ou tout début du règne de Tibère. Elle a ensuite été détruite ce qui indique un abandon quasi généralisé de l’oppidum à cette période, ce dont témoigne plus largement le mobilier collecté sur le site qui n’est que très rarement postérieur aux années 15-20 de notre ère. La population s’est alors déplacée vers la ville d’Augustonemetum, l’actuelle de Clermont-Ferrand, qui est fondée sous Auguste mais n’est véritablement occupée qu’à partir du règne de Tibère.

Quelles sont les perspectives pour le site de Gergovie ?

Des fouilles viennent de s’achever sur le sanctuaire et sont en attente d’être publiées. D’autres sont en cours sur la porte sud de l’oppidum et un espace monumental situé au centre du plateau. Gergovie fait l’objet d’un important projet de valorisation piloté par l’Etat et le conseil départemental du Puy-de-Dôme en partenariat avec l’Inrap. L’espace muséal a fait l’objet d’une totale refonte avec un bâtiment plus grand, une nouvelle présentation muséographique et un nouveau nom (Musée Archéologique de la Bataille de Gergovie). L’exposition permanente, pour laquelle j’ai assuré le commissariat scientifique, est évidemment axée sur la présentation du siège de Gergovie. Elle permet également de réinscrire l’oppidum dans le contexte plus large du territoire arverne et de la Gaule de la fin de l’âge du Fer.

Concernant les recherches de terrain, il reste encore beaucoup à faire sur la fortification de Gergovie et plus largement l’occupation de ce site à la fin de la période gauloise. Ainsi, outre la mise en évidence de cette architecture particulière du rempart, les fouilles de 2001-2008 ont permis de découvrir de vastes carrières d’extraction de basalte qui sont immédiatement antérieures à la construction de l’ouvrage défensif. Ces aménagements de grande ampleur, certains ont de 250 à 300 m3 de volume, ont servi à extraire de gros blocs de basalte qui ne se retrouvent pas dans la muraille à éperons. Ils semblent avoir servi à la réalisation des nombreux dallages qui parsèment le site. Ces carrières ont donc été ouvertes et remblayées peu de temps avant la construction du rempart et renvoient peut-être à une première phase d’urbanisation du plateau. Les relevés Lidar semblent également indiquer que le rempart fait tout le tour du plateau et ne se limite pas à son rebord sud où il est le plus visible.

En conclusion, pour avoir des éléments de réponse sur la ville gauloise, il faut fouiller une zone étendue. Comme à Bibracte ou d’autres oppida largement étudiés, il y a des indices de structuration urbaine : un réseau de voies étendu et hiérarchisé, des places monumentales, un rempart et ses portes… L’habitat reste en revanche encore très mal connu. Des prospections en cours montrent que la presque totalité du plateau, qui s’étend sur 70 ha, était mobilisé dans la seconde moitié du Ier siècle avant J.-C.  Des zones de faubourg semblent même exister aux abords des portes. Pour l’heure, les fouilles réalisées depuis les années 1860 représentent seulement 1,8% de la surface totale du site dont 8000 m² seulement qui ont été fouillés depuis 2001. Il reste donc beaucoup à faire.

Les Fortifications de l’oppidum de Gergovie – Bilan historiographique & nouvelles recherches (VIe et Ve s. av. J.-C. et Ier s. ap. J.-C.), de Yann Deberge et Thomas Pertlwieser, publié en juin 2019 dans la collection Terra Mater des Presses universitaires Blaise Pascal (Clermont-Ferrand). Préface de Dominique Garcia, professeur des Universités et Président de l’Inrap.

Le présent volume a été réalisé avec le soutien financier du Conseil départemental du Puy-de-Dôme dans le cadre du projet de mise en valeur du plateau de Gergovie et des sites arvernes.