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Nouvelles données sur la fouille au cœur de Colmar (Haut-Rhin)
À Colmar, les fouilles archéologiques se poursuivent autour de la cathédrale Saint-Martin où les archéologues de l'Inrap ont révélé de nouvelles données sur le cimetière de l'Ölberg.
Le projet de réaménagement de la place de la Cathédrale, porté par la Ville de Colmar, a motivé la prescription d’une fouille d’archéologie préventive par l’Etat (Drac Grand-Est), réalisée par l’Inrap.
Sépultures en cours de fouille au sud de la collégiale Saint-Martin
© B. Dottori, Inrap
En effet, les données historiques et les résultats d’un diagnostic archéologique réalisé en 2014 témoignent d’une occupation ancienne de cet espace, notamment marquée par la présence du cimetière lié à la collégiale, attesté entre le XIIIe et la fin du XVIIIe siècle.
Cette fouille, qui a débuté en mai 2022, est réalisée par les archéologues de l’Inrap. Ces recherches visent à sauvegarder, par l’étude, le patrimoine archéologique. Elles sont menées en plusieurs phases. Une première, ayant eu lieu de mai à septembre 2022, a consisté en une fouille de la place en rive droite du Mühlbach, autour de la collégiale. La seconde, en lien avec le renouvellement des réseaux et la réalisation des fosses d’arbres, a débuté en septembre 2022 et se poursuit courant 2023. Elle concerne principalement le nord de la place, en rive gauche du cours d’eau.
La collégiale Saint-Martin
Les origines de la collégiale pourraient remonter au IXe siècle, lorsque l’abbaye de Munster reçoit un domaine à Colmar, au sein duquel elle est peut-être à l’origine de la construction d’une chapelle. Aucune trace d’un sanctuaire du haut Moyen Âge n’a cependant été retrouvée lors des fouilles réalisées à l’intérieur de l’église, dans les années 1970. On sait en revanche qu’un grand édifice d’époques ottonienne et romane (XIe et XIIe siècles) a précédé l’église actuelle. La construction de cette dernière, en style gothique (XIIIe/XIVe siècles), est consécutive à son élévation au rang de collégiale en 1234. L’église a brièvement été le siège d’un évêché (1791-1801), d’où l’appellation de cathédrale pour désigner la place actuelle.
La fouille, réalisée au pied de l’édifice, a notamment permis l’observation de ses fondations, mais également d’appréhender ses différentes phases architecturales et d’observer des éléments en réemploi de l’édifice roman.
Chapiteau roman en réemploi dans les fondations de la collégiale
© B. Dottori, Inrap
Le cimetière Saint-Martin
La collégiale Saint-Martin est une paroisse et l’une des prérogatives paroissiales au Moyen Âge est le droit de sépulture. Une aire funéraire s’est donc développée autour de l’église durant la période médiévale, dont la première mention dans les sources historiques remonte au XIIIe siècle. En effet, en 1212, les bourgeois de Colmar vendent un terrain communal pour financer la construction d’un mur de protection autour de l’église et de son cimetière.
Les archéologues ont pu mettre au jour une grande partie du tracé de ce mur, qui entourait l’église ayant précédé l’édifice actuel. Cette découverte est fondamentale pour la connaissance des débuts du développement urbain de Colmar. Le cimetière et son enceinte constituent en effet, à cette époque, le centre politique et religieux de la cité colmarienne naissante. C’est à cet endroit que se réunissait la population, qu’était rendue la justice et que se trouvait le premier Hôtel de ville.
Le développement démographique de Colmar, dans le courant du XIIIe siècle, va cependant rapidement rendre ce périmètre trop étroit. Les fouilles ont ainsi permis de constater qu’au maximum de son extension, à la fin du Moyen Âge, le cimetière occupait quasiment tout l’espace correspondant à la place actuelle, en rive droite du Mühlbach. Des extensions successives du cimetière sont d’ailleurs documentées dans les textes en 1286 et 1308.
Au sein de ce cimetière, ce sont plusieurs centaines de sépultures qui ont été fouillées par les archéologues. Les squelettes étaient globalement dans un bon état de conservation. On retrouve à la fois des hommes, des femmes et des enfants, ce qui montre que l’intégralité de la population avait accès à ce cimetière. Mais la durée d’utilisation de cet espace funéraire, sur plusieurs siècles, implique de nombreux recoupements entre les sépultures. En effet, les sépultures dont l’emplacement n’était plus connu des fossoyeurs étaient constamment perturbées par les inhumations plus récentes.
Mur d’enceinte du cimetière au sud de la collégiale
© B. Dottori, Inrap
Mur d’enceinte du cimetière au niveau du parvis de la collégiale.
B. Dottori, Inrap
Alignements de sépultures au nord de la collégiale.
B. Dottori, Inrap
Les pratiques funéraires correspondent à celles des cimetières chrétiens, aux époques médiévales et modernes. Les défunts sont inhumés sur le dos, les membres inférieurs en extension, selon une orientation est-ouest, la tête à l’ouest. Ils sont déposés au sein de cercueils cloués en bois, dont les planches étaient parfois conservées. Le mobilier funéraire est très rare et il s’agit exclusivement de petits éléments de piété personnelle : des chapelets ou, comme cela a été le cas pour une sépulture, une coquille de pèlerin, signe probable d’un pèlerinage accompli à Saint-Jacques-de-Compostelle.
Coquille de pèlerin découverte dans l’une des sépultures du cimetière Saint-Martin.
E. Boës, Inrap
Le cimetière Saint-Martin est progressivement abandonné dans le courant du XVIe siècle. En 1533, le Magistrat souhaite récupérer la partie du cimetière située au sud de la collégiale, afin de disposer d’un espace de réunion au cœur de la ville. L’évêque de Bâle procède alors à la profanation rituelle de ce côté du cimetière, destinée à désaffecter un terrain consacré, qui servira désormais de place publique et de lieu de marchés.
Au nord de la collégiale, le cimetière ne semble avoir été abandonné que dans les années 1570, vraisemblablement suite à l’introduction de la Réforme protestante à Colmar.
La chapelle sur ossuaire Saint-Jacques
En partie sud de la place de la Cathédrale se trouve le bâtiment dit du « Corps de Garde ». Il correspond à l’origine à une chapelle de cimetière, dédiée à saint Jacques et mentionnée dans les sources historiques en 1286. La fouille au pied de ce bâtiment a permis d’en découvrir une pièce totalement inconnue, voûtée, permettant l’accès depuis le cimetière vers le sous-sol de la chapelle, qui servait d’ossuaire. C’est dans cet ossuaire qu’étaient déposés les ossements déterrés fortuitement lors du creusement de nouvelles sépultures.
Cette pièce a été démolie peu avant 1578, lors de la transformation de la chapelle en bâtiment civil.
Le cimetière de l’Ölberg (« Mont des Oliviers »)
L’un des apports majeurs de la fouille a été la caractérisation d’un second cimetière au nord-est de la place, distinct du cimetière Saint-Martin.
En 1380, la ville de Colmar avait racheté un terrain en rive gauche du Mühlbach, afin d’y créer un nouveau cimetière. Ce dernier était délimité par un mur d’enceinte, dont les archéologues ont pu mettre au jour les tronçons est et ouest. Ainsi, de la fin du XIVe siècle aux années 1570, deux cimetières ont coexisté au pied de la collégiale.
Comme l’attestent les registres paroissiaux, conservés pour les XVIIe et XVIIIe siècles, ce cimetière semble avoir été le lieu de sépulture privilégié de la bourgeoise colmarienne aisée. Un objet insolite retrouvé sous le crâne d’un défunt permet éventuellement de corroborer cette donnée : un peigne en écaille de tortue marine, alors considéré comme un objet de luxe en raison de sa provenance exotique (Antilles). D’autres petits objets ont été découverts à proximité des individus, comme des pendentifs, des perles ou encore une médaille de pèlerinage en forme de cœur.
Sépulture située directement à l’arrière du mur oriental du cimetière de l’Ölberg.
© B. Dottori, Inrap
Peigne en écaille de tortue marine (vers 1700).
© C. Leyenberger, Inrap
Médaille de pèlerinage en forme de cœur (vers 1700).
© M-P. Morico, Inrap
Ce cimetière accueillait deux petites chapelles. La première, partiellement appréhendée, se trouvait dans l’angle nord-est du cimetière. La seconde, qui a pu être fouillée en totalité, en occupait le centre. Datable de la fin du XVe ou du début du XVIe siècle, elle est de plan légèrement rectangulaire et munie de contreforts aux angles. Il s’agit, selon toute vraisemblance, d’une Ölbergkapelle, chapelle ayant accueilli un groupe sculptural représentant le Christ au Mont des Oliviers. Cette hypothèse, qui s’appuie sur des exemples connus en Alsace, est corroborée par le fait que ce cimetière est nommé Ölberg (« Mont des Oliviers ») dans les sources historiques entre le XVIe et le XVIIIe siècle.
Le cimetière de l’Ölberg perdurera jusqu’à la fin du XVIIIe siècle. En 1770, en raison du trop grand nombre de sépultures et des nuisances que cela générait, le magistrat y limite puis y interdit toute nouvelle inhumation. En 1776, le cimetière est définitivement fermé. L’espace autour de la collégiale est aménagé en place quelques années plus tard (Place d’Armes au sud, Place « neuve » au nord).
Contrôle scientifique : Service régional de l’archéologie (Drac Grand-Est)
Recherche archéologique : Inrap
Responsable scientifique : Boris Dottori, Inrap