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Wisigoths. Rois de Toulouse
L’Inrap est partenaire de l’exposition « Wisigoths. Rois de Toulouse » qui ouvre ses portes au musée Saint-Raymond de Toulouse (le 27 février - 27 septembre 2020). Laure Barthet, directrice du musée, et Jean-Luc Boudartchouk, archéologue à l’Inrap et membre du comité scientifique de l’exposition, reviennent sur les résultats des recherches archéologiques qui ont bouleversé notre connaissance de l’histoire des Wisigoths dans le sud-ouest de la Gaule.
Comment est né ce projet d’exposition ?
Laure Barthet : L’idée de présenter les Wisigoths au Musée Saint-Raymond tient à une combinaison de facteurs. Tout d’abord, c’est le 1600e anniversaire de l’installation des Wisigoths à Toulouse. Il y a un réel engouement des Toulousains pour cette partie de leur histoire, ravivé en partie par l’association « Toulouse wisigothique » qui a animé des séries de conférences dans la ville. Ensuite, nous sommes le musée archéologique de la ville de Toulouse, capitale des Wisigoths, et pourtant jamais le musée n’avait encore produit d’exposition sur le sujet. Enfin, nous avons eu la chance de bénéficier, y compris tout récemment, de campagnes de fouilles préventives qui ont apporté beaucoup de nouvelles connaissances sur l'occupation des Wisigoths à Toulouse et dans la région. Il y a seulement une quinzaine d’années, il existait un consensus parmi les historiens autour de l’idée que les Wisigoths auraient laissé très peu de traces en Gaule et que l’on ne saurait rien d’eux sans les textes. Cette idée a été renversée par les données de l’archéologie préventive.
Vous êtes une spécialiste du sujet ?
Laure Barthet : Je suis née à Toulouse et l’Antiquité tardive est un de mes sujets de prédilection, mais je suis avant tout une archéologue généraliste, formée à l’École du Louvre, en tant que conservateur du Patrimoine. Nous avons fait appel à des partenaires scientifiques spécialistes des Wisigoths, une universitaire, Emmanuelle Boube, maître de Conférence à l’université Toulouse Jean Jaurès (laboratoire TRACES) et un archéologue de l’Inrap, Jean-Luc Boudartchouk. Nous avons voulu croiser les compétences et faire en sorte qu’il y ait un dialogue continu entre l’équipe du musée et les acteurs scientifiques, mais aussi la scénographe, Emmanuelle Sapet et Teddy Bellier, la designer graphique, ceci pour trouver le meilleur équilibre entre les questions scientifiques pointues et la créativité.
Qu'apporte de nouveau cette exposition ?
Jean-Luc Boudartchouk : Il s’agit de la première exposition chrono-culturelle sur les Goths au niveau européen depuis plusieurs décennies. La première partie de l’exposition retrace les pérégrinations et l’histoire des Goths en Europe, du IIe au IVe siècle, de la Scandinavie et de la Pologne jusqu’aux rives de la mer Noire, avant qu’ils ne pénètrent dans l’Empire romain. La seconde présente leur installation dans le sud-ouest de la Gaulle entre 413 et 507. Pendant quatre générations, les Goths ont contrôlé un immense territoire à l’ouest de la Gaule. À son apogée, le royaume wisigoth, le plus grand royaume barbare d’Occident, comprend l’Aquitaine, la Novempopulanie, la Narbonnaise, la Provence ainsi que la majorité de la péninsule Ibérique, à l’exception du nord-ouest. L’exposition décrit ainsi différents états de la culture des Goths, depuis leurs origines jusqu’à leur expulsion vers l'Espagne en 507, après leur défaite à Vouillé contre les Francs de Clovis. L’autre point fort de cette exposition est d’avoir consacré des moyens importants à des prêts d’objets exceptionnels venant d’Ukraine, de Pologne, d’Autriche, de Roumanie et de Moldavie, qui illustrent cette histoire des Goths au niveau européen. Ces objets permettent de mettre en perspective ceux qui sont issus des fouilles préventives réalisées récemment dans la région, principalement des sites funéraires, qui permettent d'étudier des groupes familiaux goths, mais des fouilles ont été menées aussi au cœur de la ville-capitale, Toulouse. En 1988, une fouille préventive de l’Afan avait déjà permis de mettre au jour une partie de ce qui a été probablement le palais des rois wisigoths.
Quelles sont les particularités de cette culture Wisigothique ?
Jean-Luc Boudartchouk : Le royaume des Goths fonctionne comme un empire romain en réduction, avec son armée, son administration, ses impôts, sa diplomatie, sur un territoire couvrant environ les deux tiers de la Gaule. L’originalité de ce système est le biculturalisme. C'est la première fois dans l'Empire romain que se crée une entité politique autonome, reposant sur un partage des terres et un droit territorial, avec, semble-t-il, une égalité de traitement des peuples. Les deux populations, Goths et Romains ou Gallo-romains, se côtoient, mais sans se mélanger. Les Goths détiennent le pouvoir militaire et une bonne partie du pouvoir politique, mais ils s’appuient pour le droit, les finances et l’administration sur des spécialistes romains. Ils parlent le germanique oriental, deviennent bilingues et toutes les productions écrites sont en latin. Les Goths gardent leurs traits culturels propres, qu'ils ont amenés avec eux. Ils ont leur clergé, distinct du clergé romain et pratiquent depuis la fin du IIIe siècle, une forme de christianisme, l’arianisme. Cela est vrai aussi de leur apparence. Des fouilles récentes d’une nécropole sur le site de Seysses (Haute-Garonne) ont par exemple permis de mettre au jour des crânes déformés et allongés vers l’arrière, une pratique attestée chez les Huns et les Goths. Les femmes du peuple goth avaient une parure particulière, dont témoignent leurs boucles d’oreille, leurs fibules, leurs boucles de ceinture. On observe, dans le costume et certains objets artisanaux du quotidien, des permanences depuis l'époque où les Goths étaient extérieurs à l'Empire jusqu'au début du VIe siècle.
Bracelets se terminant par des têtes de serpent stylisées. 160-230. Découverts à Węsiory (Pologne). Conservés au musée archéologique de Gdańsk (Pologne).
Joanna Szmit, Musée archéologique de Gdańsk
Les rapaces sont figurés aux Ve et VIe siècle sur des parures de nombreux peuples barbares comme ici sur ces deux appliques d’harnachement découvertes dans la tombe d’un Gépide à Apahida (Roumanie).
Marius Amarie, musée national d’histoire de Roumanie
Fibule en forme d’aigle. Découverte à Cutry (Meurthe-et-Moselle). VIe siècle.
DRAC Grand-Est / G. Coing
Objets découverts dans la tombe féminine de Vicq (420-450) : trois perles de verre, deux paires de fibules, plaque-boucle de ceinture et bague.
EPI 78-92 / Service archéologique / Caroline Kuhar
Objets découverts dans la nécropole d’Estagel (Pyrénées-Orientales) : plaque-boucle de ceinture, perles en verre, fibules et épingle. Fin Ve, début VIe siècle.
Musée d’Archéologie Nationale / Valorie Gö.
Laure Barthet : Les modalités d'occupation des Wisigoths font encore l'objet de débats. Ils se sont intégrés dans le cadre tardo-antique préexistant, qu'ils ont préservé. Ce cadre est bien représenté par une statuette de Diane chasseresse du IVe-Ve siècle que l'on a trouvée dans la villa romaine de Saint-Georges-de-Montagne (Gironde). Cette villa a peut-être été occupée par Sidoine Apollinaire, qui a dressé un portrait très intéressant des Wisigoths et de leur roi Thédoric II. Dans ce cadre préservé, il fallait trouver des indices de la présence des Wisigoths, même insignifiants. Par exemple, parmi ces marqueurs, il y a des peignes que l'on a trouvés dans des domaines agricoles romains environnants, qui sont du même type que celui de peignes en bois de cervidé que l'on a trouvés sur des sites goths autour de la mer Noire. Nous avons montré ce parallèle dans l'exposition.
Solidus au nom de Sévère III frappé à Toulouse entre 461 et 465. Or. Conservé au Musée Saint-Raymond (Toulouse).
Daniel Martin
Peigne en bois de cervidé. 300-350. Zhovnyne (Ukraine). Conservé au musée archéologique de l’Académie des Sciences d’Ukraine. Ces peignes à dos rond sont associés aux Wisigoths. On retrouve les mêmes modèles dans la région de Toulouse au Ve siècle.
Musée archéologique de l’Académie des Sciences d’Ukraine
Quels ont été vos critères dans le choix des objets ?
Laure Barthet : Nous présentons plus de 250 objets, dont près de 200 ont été prêtés par des institutions françaises et européennes. Nous avons voulu mélanger des oeuvres prestigieuses provenant de musées d'Europe et celles qui sont issues de différentes fouilles menées par l'Inrap et par différents opérateurs en Aquitaine. Parmi les objets « stars » , nous exposons diverses pièces du trésor de Pietroasa conservé au musée national d’histoire de Roumanie, l’anneau sigillaire avec intaille en saphir de Alaric II, roi de Toulouse, qui provient du Kunsthistorisches Museum de Vienne, un collier de perles d’ambre et verre conservé au Musée archéologique de Gdansk (Pologne)… Pour les objets venant d'Europe, nous voulions aussi mettre en valeur les acquis de l'archéologie moderne ou récente. Sans cet aspect, nous n'aurions pas monté cette exposition. Par exemple, nous présentons des objets provenant de la tombe datant d'un chef goth du IIIe siècle, près de Rudka en Pologne et fouillée en 1960. C'est une tombe très intéressante. On y a trouvé de la vaisselle romaine en verre et en bronze à côté de céramiques de production « germanique », ce qui témoigne des liens réciproques entre la culture de Wielbark, apparue en Poméranie orientale, et le monde méditerranéen, à l’origine de la culture de Tcherniakhov. On s'aperçoit ainsi que les Goths et les Romains se sont longtemps côtoyés, bien avant que les Goths ne pénètrent dans l'Empire romain.
Coupe en or, argent, grenat et tourmaline appartenant au trésor de Pietroasa (Roumanie. Fin du IVe-début du Ve siècle. Les anses figurent deux panthères.
Marius Amarie, musée national d’histoire de Roumanie
Objets appartenant à la tombe d’un « chef » goth du IIIe siècle (Pologne). La présence de vaisselle romaine en verre et en bronze à côté de céramiques de production « germanique », témoigne du jeu d’influence réciproque entre la culture de Wielbark et le monde méditerranéen, à l’origine de la culture de Tcherniakhov.
Musée archéologique national de Varsovie (Pologne
Torque avec inscription en caractères runiques appartenant au Trésor de Pietroada. Fin IVe-début Ve siècle.
Musée national de Roumanie
Jean-Luc Boudartchouk : Certains objets de l'exposition sont extraordinaires car ils permettent vraiment de toucher du doigt cette histoire. Je pense en particulier à une lance qui a été trouvée dans une tombe du début du Ve siècle à Bourges et sur la flamme de laquelle, il y avait la dédicace en latin « Patricius Regius zezes » : « Vive le patrice du Roi ». L’inhumé de Bourges était le porte-étendard de ce patrice, un officier supérieur goth ou en tout cas au service des Goths. Mais ce porte-étendard était culturellement romain. Il y a également deux blocs de marbre sur lesquels est gravée l'épitaphe de Sidoine Apollinaire, évêque de Clermont-Ferrand, ou de son fils Apollinaire Sidoine, laquelle mentionne nommément les « barbares ». Des fibules militaires romaines, également une vidéo et une maquette représentant la bataille d'Andrinople (378), qui a vu les Goths de Fritigern affronter victorieusement l'armée romaine de l'empereur Valens. Une maquette de ce qui pouvait être la cathédrale des Goths de Toulouse , l’église disparue de la Daurade, est également présentée dans le musée.
Fragment de mosaïque à fond d’or provenant de l’ancienne église Sainte-Marie la Daurade
Musée Calvet d’Avignon
Les Wisigoths ne sont-ils pas le parent pauvre de l'histoire ?
Jean-Luc Boudartchouk : L'histoire nationale a très peu parlé des Wisigoths. Il y a une sorte de légende noire des Goths, dont l'origine remonte à Sidoine Apollinaire qui a eu vers la fin de sa vie des conflits avec les Goths — terme qu’il faut préférer, pour le Ve siècle, à « wisigoths », qui n’est apparu qu’au siècle suivant. À cette époque, Grégoire de Tours a repris et déformé les récits d’Apollinaire, mais au profit du nouveau pouvoir mérovingien, allant jusqu’à construire un récit de persécution des catholiques par les Wisigoths, adeptes de l'arianisme. Toute cette légende noire ne résiste pas à l'analyse des faits, comme l'ont démontré le réexamen chronologique des textes et les recherches archéologiques. C’est ce que voudrait montrer cette exposition.
Laure Barthet : En fait de barbares, l'histoire a surtout parlé des Francs, héros du récit national, mais à Toulouse et en Occitanie, ces barbares sont surtout représentés par les Wisigoths. Ce sont « nos » barbares et nous les assumons. Nous voulions casser les clichés de la figure brutale et bestiale, et démystifier ou « débunker » le Wisigoth et le « barbare » auprès du grand public. C'est la raison pour laquelle nous avons aussi introduits des éléments plus humoristiques ou ludiques à destination des jeunes publics ou des amateurs de ton décalé, comme des séquences de Kaamelott et de Game of Thrones, un générateur de noms goths, « Wisigothe-toi ! », des dispositifs en 3D, un casque pour faire un beau selfie... Mais sans jamais sacrifier les questions pointues !
Tête de barbare. IIe-IIIe siècle. Découverte sur le site de villa de Chiragan (MartresTolosane). Conservée au Musée Saint-Raymond (Toulouse).
Daniel Martin
Exposition présentée au public du 27 février au 27 septembre 2020 au musée Saint-Raymond, musée d’Archéologie de Toulouse
1ter place Saint-Sernin 31000 TOULOUSE
Tél. 05 61 22 31 44.Mail ; msr.web [at] mairie-toulouse.fr
Du mardi au dimanche de 10 h à 18 h. Fermé les 1er janvier, 1er mai et 25 décembre.
Commissariat : Laure Barthet conservateur du Patrimoine et directrice du musée Saint-Raymond, Claudine Jacquet attachée de conservation du Patrimoine au musée Saint-Raymond
Comité scientifique : Emmanuelle Boube, maître de Conférence à l’université Toulouse Jean Jaurès, laboratoire TRACES, Jean-Luc Boudartchouk archélogue à l’Inrap, laboratoire TRACES
Muséographie : Laure Barthet Claudine Jacquet équipe du musée Saint-Raymond
Scénographie : Emmanuelle Sapet, Direction de la Communication - Toulouse Métropole
Graphisme : Teddy Bélier Design