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Art et biens de prestige de la période contemporaine
Des statues soviétiques et un « Déjeuner enfoui » : quand l’archéologie rencontre l’art contemporain.
L’archéologie n’a que très peu abordé « l’art » pris dans son sens très moderne d’« œuvre artistique », cette approche revenant plus naturellement à l’histoire de l’art. Mais en restant dans la logique de l’archéologie proprement dite, deux cas ont rapproché les deux disciplines : lorsque l’exploration du sous-sol a dévoilé, fortuitement ou volontairement, des œuvres d’art enfouies.
En 2009, une équipe de l’Inrap met au jour fortuitement un groupe statuaire en ciment armé dont les débris gisaient dans la glacière du château de Baillet-en-France (Val-d’Oise). Ces vestiges appartenaient au bas-relief du pavillon soviétique de l’Exposition universelle de Paris de 1937. Outre le caractère exceptionnel de cette découverte, c’est avant tout sa dimension iconographique qui mérite toute l’attention des archéologues. Et plus précisément, le fait qu’à l’instar des œuvres de propagande exposées au même moment par l’Occident « capitaliste » ou « fasciste », l’URSS exalte sur ce double bas-relief la puissance des républiques qui la composent. Chacune d’entre elles y est en effet personnifiée ou illustrée par des images symbolisant ses richesses ou ses ressources.
Bas-relief du pavillon soviétique présenté à Paris en 1937 à l'occasion de l'exposition internationale des Arts et Techniques de la Vie moderne, glacière du château de Baillet-en-France (Val-d'Oise), 2009.
Les bas-reliefs du pavillon représentent les allégories des onze républiques soviétiques.
© Denis Gliksman, Inrap
La destinée de ce bas-relief est singulière. Offert à la CGT par l’URSS à l’issue de l’exposition, il rejoint le château de Baillet qui, propriété de l’Union fraternelle de la métallurgie, accueille alors les métallurgistes en congé. Une fois le château réquisitionné en 1940 et tombé aux mains des jeunesses pétainistes, l’œuvre y sera détruite. Et les débris resteront enfermés dans la glacière jusqu’à leur mise au jour par les archéologues.
Le second point de rencontre mémorable entre l’art et la fouille, volontaire cette fois, concerne le Déjeuner sous l’herbe. Une œuvre d’art constituée du mobilier et des restes d’un banquet organisé par Daniel Spoerri dans les jardins du domaine du Montcel (Yvelines), que le plasticien fit enfouir sur place le 23 avril 1983. L’idée de cette performance étant que l’œuvre ne serait véritablement « achevée » qu’à son exhumation. C’est en 2010 qu’une fouille conduite dans les règles de l’art archéologique sous le contrôle de Jean-Paul Demoule – archéologue – et Bernard Müller – anthropologue – met au jour ces vestiges. Une découverte qui a donné lieu à de nombreux commentaires sur la limite chronologique de l’archéologie, sa définition du « récent » et de l’« actuel », les rapports que la discipline entretient avec l’histoire de l’art, et la distinction entre « témoignages » et « vestiges ».
Enfoui depuis 1983, le banquet de Daniel Spoerri s’est décomposé, jusqu’à n’être qu’un souvenir. Pour en étudier les vestiges, vingt-sept ans plus tard, les premières fouilles archéologiques de l’histoire de l’art contemporain ont été organisées du 31 mai au 10 juin 2010. Jouy-en-Josas (Yvelines).
© Denis Gliksman, Inrap