Depuis près de dix ans, des vestiges du Néolithique et de l'âge du Bronze d'une grande richesse sont découverts dans l'archipel de Molène : concentration exceptionnelle de monuments mégalithiques, habitats, faune, céramiques et pierres taillées... autant d'indices qui permettent de cerner la chronologie des occupations humaines.
Sur l'île de Molène, c'est un bâtiment occupé entre 2200 et 1800 avant notre ère qui vient d'être fouillé. Pour mieux comprendre les hommes qui vécurent ici durant la Préhistoire récente et leur relation avec l'environnement, des études pluridisciplinaires sont menées, sur les variations du niveau marin, les sols, le paysage végétal et la faune.
Un site insulaire unique
En 2003, les archéologues repèrent un amas coquillier à la pointe de Beg ar Loued. Sa fouille est l'occasion d'exhumer les vestiges d'un habitat en pierres sèches dont les murs sont encore en élévation sur plus d'1,4 mètre. Des semences, des restes osseux (rarement préservés dans le sol acide de la Bretagne) et des outils en pierre sont prélevés et étudiés, ainsi que de la céramique, dont l'analyse permet de situer dans le temps les occupations du site : l'une, avant la construction de l'habitat, se rattache au style Conguel (vers 2700 ans avant notre ère), une autre à la fin du Campaniforme (2200 à 2000 avant notre ère) et une dernière à l'âge du Bronze ancien (2000 à 1800 avant notre ère).
Les campagnes de fouille successives ont permis de dégager le bâtiment, de forme ovale et construit en plusieurs phases. Dans son état initial, il mesure 13 mètres de long, ses murs extérieurs sont parementés de dalles de chant en gneiss et en granite. Dans son état final, il mesure près de 11 mètres de long pour un peu moins de 6 mètres de large. Les murs, de 2 mètres d'épaisseur, mêlent pierres sèches et dalles de chant. Les élévations semblent avoir conservé par endroits leur hauteur originelle, qui se situe autour d' 1,4 mètre. Par sa forme et son mode de construction, ce bâtiment présente des analogies avec plusieurs habitats du Campaniforme retrouvés du Portugal jusqu'aux Hébrides, en Écosse.
Ces recherches, exceptionnelles par la diversité des vestiges mis au jour et leur bon état de conservation, permettent de cerner le mode de vie d'une communauté insulaire depuis la fin du Néolithique jusqu'à l'âge du Bronze ancien.
Artisanat et industrie
Les céramiques se rattachent à la fin du Néolithique et aux débuts de l'âge du Bronze, une période mal connue dans le nord de la France. De nombreux tessons présentent des caramels de cuisson et leur datation par le radiocarbone offrira l'opportunité d'établir une chronologie absolue des productions céramiques entre la fin du IIIe millénaire et le début du IIe millénaire avant notre ère.
L'étude de l'industrie lithique, réalisée à partir d'un corpus de plus de 36 000 artefacts (hors esquilles), montre une exploitation exclusive des galets locaux en silex, en grès armoricain ou en quartz. La nature des roches employées indique que les habitants avaient une bonne connaissance de leurs propriétés mécaniques.
Autour de 2700 avant notre ère, l'outillage, très spécialisé, est dominé par les mèches de foret (petites pointes en silex utilisées pour perforer), qui pourraient avoir servi au travail des quelques perles en test (coquille) de pourpre découvertes à proximité. Au Bronze ancien, les grattoirs sont majoritaires.
D'autres outils en pierre comme des percuteurs, des enclumes, des pilons des broyons ont été utilisés dans le cadre d'activités domestiques et artisanales. De nombreuses meules en granite ont été identifiées, dont la plupart ont été récupérées d'occupations antérieures, et réemployées dans l'architecture en pierres sèches.
Fait rarissime dans la région, l'activité métallurgique est attestée par quelques indices : un moule en granite, un déchet comportant des inclusions cuivreuses et cinq petits objets brisés - probables éléments de parure - en tôle d'alliage cuivreux. En revanche, l'origine des minerais de cuivre demeure inconnue.
La pêche, l'élevage, la chasse et l'agriculture
L'analyse des vestiges organiques a permis de mieux comprendre le mode de subsistance des habitants de Beg ar Loued.
La variété d'espèces et la taille souvent modeste des poissons montrent qu'une pêche opportuniste était effectuée depuis la côte, probablement grâce à des barrages de pêcherie fixes. Elle était pratiquée en toutes saisons, même si elle apparaît plus importante au printemps et plus ciblée sur la famille des labridés (labres, vieilles, girelles...) en période hivernale. Les 30 kilos de tests analysés montrent que la patelle domine de manière écrasante le spectre des mollusques marins.
L'élevage, d'après les données réunies sur divers sites de l'archipel à Béniguet, à Balaneg et à Kemenez, était pratiqué depuis le IVe millénaire au moins dans l'archipel de Molène, les dates les plus anciennes obtenues pour la Bretagne continentale étant situées autour du début du Ve millénaire avant notre ère. À Beg ar Loued, il concernait notamment le boeuf et le mouton, peut-être la chèvre, le porc étant plus faiblement représenté.
La pratique de la chasse est attestée par des restes de phoque gris et de nombreux oiseaux : canards, bécasse, courlis cendré, cormorans, goélands, macareux moine, pingouin torda ainsi que pygargue à queue blanche, disparu de France au cours du xxe siècle.
La quasi-totalité des espèces, oiseaux marins compris, ont pu être consommées par l'homme, comme elles le sont encore dans le nord-ouest de l'Europe. Quelques restes d'un grand cétacé - vraisemblablement un rorqual commun - révèlent la mise à profit d'un échouage naturel.
Certaines variétés de graines cultivées ont été mises en évidence par la carpologie, comme l'orge à grains nus et vêtus, le blé amidonnier, le froment, les féveroles ou les pois.
L'étude de l'environnement
À travers l'étude des charbons de bois, l'anthracologie a révélé une grande variété d'essences d'arbres (chêne, houx, genet, ajonc, poirier, pommier, sorbier, merisier, prunellier, noisetier...) typiques des chênaies atlantiques ; le plateau molénais disposait encore probablement d'un couvert forestier, au moins dans sa partie méridionale protégée des vents dominants.
Grâce aux analyses palynologiques à venir, les archéologues tenteront de reconstituer l'histoire de la végétation holocène, les variations du niveau marin et l'impact de la métallurgie sur les formations forestières. L'étude des pollens sera réalisée conjointement avec celle des foraminifères (animaux microscopiques recouverts d'une coquille, de la famille des rhizopodes) pour comprendre comment, sous l'effet de la remontée du niveau marin, s'est fragmenté le vaste plateau de Molène en une multitude d'îles et d'îlots, alors qu'il formait une même île il y a moins de 8 000 ans : à quel moment et dans quel ordre les îles se sont-elles trouvées isolées les unes des autres ? Quelle a été l'évolution des paysages côtiers dans l'archipel depuis le Néolithique ?
L'analyse des microvertébrés (petits mammifères, reptiles et amphibiens...) révèle la présence d'espèces aujourd'hui disparues de l'archipel de Molène et l'existence d'un syndrome insulaire chez bon nombre d'entre elles : taille supérieure à celle des individus des populations continentales des mêmes espèces et présence de morphotypes déviants. L'étude de ces particularités permettra de documenter l'évolution des populations de microvertébrés depuis le Néolithique récent et son lien avec l'activité de l'homme et ses déplacements dans les îles du Ponant.
Beg ar Loued en quelques chiffres
- Terrain 2003-2011 : 9 campagnes d'un mois et demi chacune, soit une durée de 405 jours ; nombre moyen d'archéologues = 12
- Post-fouille 2003-2011 : 6 personnes (tri et études spécialisées) ; 3 mois par an pendant 9 ans
- 400 m2 fouillés
- 80 m3 de sédiments passés au tamis de 2 mm, tous les refus de tamis ont été triés afin d'en extraire les petits artefacts (fragments de silex, de céramique ou d'objets métalliques) et écofacts (restes de petits vertébrés, de petits mollusques, de graines et de charbons de bois)
- 171 500 silex taillés dont 125 000 esquilles (inventaire en 2009)
- 1 500 macro-outils dont 25 meules dormantes
- 90 kg de céramique
- 165 000 restes de poissons (inventaire en 2008) dont 10 000 déterminés au rang de l'espèce
- 20 000 restes de grands vertébrés, environ 2 000 déterminés taxinomiquement
- 1 500 restes de micromammifères et 1 000 restes de reptiles et d'amphibiens déterminés au rang de l'ordre ou à un rang inférieur