Jusqu' au 3 décembre 2023, MuséAl, musée archéologique départemental à Alba-la-Romaine (Ardèche), accueille l’exposition « Grande Terre de vins » labellisée « L’Inrap a 20 ans ! ». Les deux commissaires, Audrey Saison, archéologue, et Caroline Daviaud, médiatrice culturelle, reviennent sur cet événement archéologique 100 % ardéchois.

Dernière modification
20 septembre 2022

Comment est né ce projet d’exposition ?

Audrey Saison : Le point de départ est une découverte archéologique faite par l’Inrap en 2014 sur le site de la Grande Terre à Alba-la-Romaine, dans le cadre de l’aménagement d’un lotissement. Les résultats sont si riches pour l’histoire viticole que l’on a souhaité en faire part au public par le biais d’une exposition temporaire.
La fouille a révélé un chemin creux du Ve siècle avant J.-C. qui avait été détecté lors du diagnostic. Fabien Isnard, l’archéologue responsable de la fouille (Inrap), en a poursuivi l’étude et y a identifié plusieurs traces d’aménagements. Mais il a surtout eu l’idée de faire des analyses bioarchéologiques poussées sur des charbons de bois et des graines collectées de part et d’autre de ce chemin (Manon Cabanis, Inrap). La morphométrie des charbons de bois (mesures éco-anatomiques) a notamment permis d’identifier des ceps de vignes cultivées. 

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Les études chimiques dans les céramiques gauloises non tournées (laboratoire Nicolas Garnier) ont révélé des traces de vin rouge, de vin blanc et de jus de raisin. Cela démontre qu’il existait ici un vignoble gaulois dès le Ve siècle avant J.-C.! On sait que les Gaulois étaient friands de vin, importé de Grèce, d’Italie ou de Marseille, mais de là à trouver des témoignages de la culture de la vigne dès cette date précoce, dans des terres aussi éloignées du littoral, c’est une très belle découverte pour l’histoire du vin et particulièrement pour l’histoire du vin en Ardèche !

Comment avez-vous conçu le parcours de l’exposition ?

Caroline Daviaud : L’exposition débute par la présentation de la découverte archéologique de la Grande Terre à Alba-la-Romaine, puis le visiteur découvre thème après thème tous les aspects de la viticulture antique et son pendant contemporain. La viticulture est aujourd’hui très présente sur le territoire et l’exposition permet de mettre en valeur ce travail.
L’idée générale du parcours était de partir des raisins et des cépages, et d’aller jusqu’à la transformation du jus de raisin en vin, en passant par les différents types de vinification, les intrants, la conservation, le transport, la mythologie du vin, le service à boire… Pour le service antique, nous présentons des vases à boire en terre cuite et en verre, dont un canthare, une petite amphore en bronze, des gobelets à dépression en céramique claire B. En vis-à-vis, sont exposées une carafe à décanter et des verreries actuelles dont la forme s’adapte selon le type de vin consommé. C’est intéressant de partir de ce que l’on connaît, pour découvrir les récipients de ceux qui nous ont précédés.

Le parti-pris scénographique est de montrer les différentes thématiques dans des îlots qui prennent la forme d’une parcelle viticole, parfois en terrasses. Nous avons également mis en place des modules ludiques, appréciés des petits et des grands : une table dédiée à la reconnaissance des senteurs, des arômes du vin, de ses couleurs et des robes du vin ; un jeu d’optimisation de remplissage d’une cale de bateau avec des amphores, des tonneaux ou des palettes de bag-in-box actuelles…Ces modules interactifs non multimédia ont beaucoup de succès !

 

L’exposition est labellisée « L’Inrap a 20 ans ! ». Quels sont les liens de cette exposition avec l’Institut ?

C.D. : L’Inrap fait partie du comité scientifique de l’exposition : Fabien Isnard, Manon Cabanis et Éric Durand. Nous avons beaucoup travaillé avec les chercheurs de l’Institut, notamment autour de la fouille de la Grande Terre, sur le choix des objets et la sensibilisation du public à la démarche scientifique et à des spécialités comme l’anthracologie, la carpologie, la paléogénomique… Nous souhaitons montrer de manière claire et simple qu’à partir d’un pépin de raisin, d’un charbon, d’un fragment de céramique, il est possible de réécrire l’histoire de la vigne. Il y a d’ailleurs dans l’exposition un petit module « carpologie » au sein duquel les visiteurs sont invités à distinguer, à l’aide d’un microscope, un pépin de raisin d’une lentille ou d’un grain de blé. Deux pépins imprimés en 3D, grossis plus de 600 fois, permettent également de faire la différence entre un pépin de raisin cultivé et un pépin de raisin sauvage. L’Inrap nous a beaucoup aidées sur ces aspects et, tout au long de l’exposition, un cycle de conférences accueillera des archéologues, dont Fabien Isnard, responsable des fouilles du site de la Grande Terre. Nos liens avec l’Institut sont anciens et officialisés par une convention. Le président de l’Institut, Dominique Garcia, était présent lors de l’inauguration de l’exposition temporaire.

D’où proviennent les objets qui sont exposés ?

A. S. : C’est une exposition qui ne parle que de l’Ardèche ! Nous présentons une soixantaine d’objets issus de découvertes locales, parfois effectuées par l’Inrap, telle une serpette en fer trouvée dans un contexte funéraire sur le site de la Grande Terre ou une amphore du site de Serrières. D’autres objets proviennent de musées locaux ou de collections privées. Nous présentons des amphores complètes, plutôt rares en Ardèche, issues de fouilles anciennes et connues par des articles scientifiques. Une véritable enquête a été nécessaire pour retrouver leur trace ! De même pour la période contemporaine, nous présentons des dames-jeannes, des tonneaux, des outils ardéchois que nous avons chinés dans des caves.

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Entrée de l'exposition

© Nicolas Franchot

 

Le vin ardéchois était-il réputé dans l’Antiquité ?

A. S. : Le vin produit dans la région devait être connu. Au Ier siècle, Pline l’Ancien évoque le Carbunica cépage créé à Alba-la-Romaine et diffusé dans l’ensemble de la province de Narbonnaise. C’est un élément intéressant qui atteste le dynamisme de la viticulture antique en Ardèche. À Lyon, des inscriptions indiquent aussi l’activité des nautes (bateliers) dont un certain Marcus Inthatius Vitalis, négociant en vin, qui a eu une reconnaissance particulière à Alba-la-Romaine, dont il était citoyen d’honneur. Cela témoigne de relations commerciales étroites avec Lyon, le long de l’axe rhodanien. Nous montrons également pour la première fois au public une inscription antique qui cite la présence de tonneliers dans le village voisin de Rochemaure. Ces mentions sont très rares et prouvent que le vin était transporté non seulement dans des amphores, mais également dans des tonneaux, que l’on ne trouve pas lors des fouilles car le bois est putrescible et se conserve difficilement. 

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Entrée de l'exposition

© Nicolas Franchot

 

À quelle époque ces viticulteurs ont-ils commencé à exporter leur vin ?

A. S. : Jusqu’au Ier siècle avant J.-C., le vin est essentiellement importé d’Étrurie ou de Marseille, mais à partir du Ier siècle après J.-C., les viticulteurs de Narbonnaise produisent leur vin en quantité importante et l’exportent massivement. Autour du changement d’ère, l’atelier de Saint-Just-d’Ardèche, le long de la vallée du Rhône, était l’un des premiers à produire des imitations d’amphores italiques. Il montre l’influence italique qui précède la mainmise des Gaulois sur cette production. C’est un site peu connu, à l’instar d’autres sites ardéchois. Les Gaulois vont par la suite exporter le vin de manière très conséquente dans des amphores que l’on appelle « gauloises ». On en retrouve un peu partout dans l’Empire, jusqu’en Inde ! 

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Entrée de l'exposition

© Nicolas Franchot

Le vin que l’on consommait dans l’Antiquité est-il différent de celui que l’on boit aujourd’hui ?

C. D. : Les viticulteurs antiques produisaient du vin rouge, du vin blanc et des vins liquoreux, mais le rosé n’existait pas. Le vin antique avait un goût bien différent. Pour une meilleure étanchéité, les conteneurs étaient enduits de poix, un goudron végétal qui donnait un goût de résine à la boisson. À l’Antiquité, dans la cité de Vienne, on connaît un cépage réputé pour ce goût de poix, l’« Allobrogica ». Plusieurs intrants pouvaient aussi être utilisés afin de mieux conserver le vin ou améliorer sa qualité : le miel pour la fabrication d’un vin miellé, le fenugrec pour stabiliser le vin ou de l’eau de mer pour ses propriétés de clarification. En outre, dans l’Antiquité, le vin était aussi considéré comme un médicament. Certains additifs, qui peuvent nous paraître saugrenus, comme le plâtre, pour soigner les problèmes gastriques, vont donner au vin un goût très particulier. Pour les palais d’aujourd’hui, ce vin serait sans doute imbuvable !

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Grappe de raisin en marbre découverte à

Alba-la-Romaine. Collection privée.

© Nicolas Franchot

Alors, l’Ardèche est réellement une terre de vin depuis longtemps ?

C. D. : Il existe une continuité d’exploitation de la vigne en Ardèche depuis l’Antiquité. Une carte recense les découvertes archéologiques locales, les traces de villae viticoles, de cuves, de dolia, et curieusement cette carte de la viticulture antique correspond à celle de la viticulture actuelle. Pour expliquer au public que l’Ardèche est une terre riche en vin, nous exposons une grande carte de l’Ardèche avec ses différentes dénominations de vin actuelles (AOP et IGP) : Condrieu, Saint-Joseph, Cornas, Saint-Péray, Côtes du Vivarais, Côtes du Rhône, Côtes du Rhône villages Saint-Andéol, IGP Ardèche (première production en Auvergne-Rhône-Alpes)… Nous relions cette carte à une soixantaine de bouteilles pour mettre en valeur la diversité des vins du département, diversité dans les appellations, couleurs, procédés de vinification. Plus de 200 viticulteurs ardéchois sont représentés dans le parcours de l’exposition ! 

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Mur de bouteilles autour de la carte des appellations ardéchoises.

© Nicolas Franchot