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Le sanctuaire gaulois de Saint-Just-en-Chaussée (Oise)
Connu depuis le milieu du XIXe siècle, le site de Saint-Just-en-Chaussée fera l'objet ce samedi 10 décembre d'une conférence animée par François Malrain et Estelle Pinard, archéologues à l'Inrap, à l'auditorium du Musée d’Archéologie nationale (Saint-Germain-en-Laye). Retour sur ce vaste sanctuaire gaulois dont les différents enclos ont livré des dépôts de mobilier variés selon une singulière mise en scène.
Découverte des vestiges d'un sanctuaire gaulois
Localisé dans l’Oise, le site de Saint-Just-en-Chaussée est connu de longue date par les clichés aériens et a été en partie dévoilé en 1994-1995 au cours de différentes interventions de fouille archéologique. À la suite d’un diagnostic réalisé en 2007, à l’emplacement d’un projet immobilier de l’OPAC, le service régional de l’archéologie a prescrit une fouille sur plus de 2,5 ha qui a livré les vestiges d’un sanctuaire. Pour son édification, les Gaulois ont choisi un plateau et son versant qui surplombe la plaine environnante, ce qui lui assurait une position dominante et une excellente visibilité. Il est délimité par une très vaste enceinte que l’emprise de la fouille n’a pas permis de percevoir dans son intégralité, mais dont la superficie s’étend sur plusieurs hectares. Elle est matérialisée par un imposant fossé dont les dimensions peuvent dépasser 3 m de large et 1,5m de profondeur. Les terres extraites pour former ce fossé ont été mise à contribution pour élever un talus qui accentuait la monumentalité de cette construction qui séparait physiquement l’espace sacré de l’espace profane.
Le sanctuaire gallo-romain à Saint-Just-en-Chaussée en cours de fouille
© Inrap
Un fossé monumental pour séparer le monde profane du sacré
L’intérieur de cette enceinte est divisé en plusieurs enclos qui ont, semble-il, accueilli des manifestations cultuelles différentes. Elles se traduisent par des dépôts de mobilier de nature variée. Ainsi dans le fossé qui borde le site, les dépôts concernent surtout des animaux. Porcs, chevaux, bœufs, moutons sont quelques-unes des espèces qui ont fait l’objet de sacrifices et/ou d’une consommation collective lors d’un banquet avant d’être rejetées. Ils s’associent à des dépôts de chevaux et de crânes de bœufs découverts en 1994. Les restes d’équidés, très bien conservés, ont été mis dans le fossé après une phase de décomposition qui s’est déroulée ailleurs sur le site, tandis que les crânes de bovins, dont l’os est très altéré, indiquent qu’ils ont d’abord été longuement exposés. Ces restes voisinaient avec des éléments de chars et de harnachements dont l’un avec des anneaux de joug et un mors en fer était encore en position fonctionnelle dans la bouche d’un cheval. Dans les fossés d’un enclos mitoyen, les dépôts ont fait l’objet d’une véritable mise en scène, des récipients en céramique, supportent ou alternent avec des quartiers de viandes.
Ce chien, en partie désarticulé, a été déposé dans le fossé qui délimite le sanctuaire.
© François Malrain Inrap
Ces mandibules de moutons ont été soigneusement agencées atour d’un rognon de silex.
© François Malrain Inrap
Un équipement militaire
Plus à l’ouest, les fossés d’un autre enclos sont ponctués de dépôts d’armement qui révèlent une autre forme de rituel. Parmi ce mobilier se distinguent des éléments de boucliers comme des manipules (poignées qui servaient à le tenir), des umbos (pièce qui couvrait le manipule et protégeait le poing tenant le bouclier tout en assurant son renfort), ainsi que des orles qui sertissaient son contour, garantissant son maintien et sa solidité. À partir des umbos, un nombre minimum de huit boucliers a pu être établi.
Si certains entrent dans une typologie bien connue pour la période celtique, d’autres différent grandement de ce standard. Ils présentent une morphologie de demi umbos fusiformes à la romaine d’un type inédit. Deux coques épousent la forme de la spina et sont couvertes en leur milieu par un umbo à ailettes de schéma celtique lui conférant un aspect fusiforme. L’assemblage des fragments d’orles permet de proposer la restitution d’un bouclier d’environ 135 cm de hauteur et de 60 cm de large doté d’une spina/umbo d’environ 45 cm. Avant d’être déposés dans le fossé, les stigmates relevés sur les boucliers montrent qu’ils ont été mutilés de la même manière que ceux de Gournay-sur-Aronde.
Des casques et des glaives
Parmi cet équipement militaire on dénombre trois casques de type port ce qui complète de manière notoire ce corpus de couvre-chef dont seulement une dizaine est recensée. Leur fabrication, par martelage et rivetage d’une plaque de fer, en fait des objets uniques. Ils sont ornés de renforts frontaux en forme de sourcils dotés d’un rivet à leur extrémité. La protection du cou est assurée par un couvre nuque et celle des joues par des paragnathides dont une seule, arrachée d’un casque a été trouvée. La question de leur origine, gauloise ou romaine anime la communauté scientifique. À Saint-Just-en-Chaussée, leur association avec des glaives authentifie plutôt la présence de militaire romains que d’auxiliaire gaulois, à moins que ces derniers aient été totalement équipés par les premiers. En revanche, les impacts qui affectent ces casques attestent plutôt une forme de sacrifice-mutilation d’origine gauloise que l’on retrouve sur différents sites sur lesquels des rites ont été pratiqués. Issu du site de Ribemont-sur-Ancre dans la Somme, un casque de même type a été perclus de coups portés dans l’intention de le rendre impropre à l’usage.
Une armure d'exception
Une soixantaine d’éléments d’armure ont aussi été découverts. Elle est constituée, d’une part, d’une cuirasse segmentée protégeant le tronc, fabriquée à partir de fines plaques de métal dont les bords coupants ont été rabattus formant un bourrelet plus ou moins large qui les renforce et évite les blessures ; d’autre part, de pièces en volume pour la protection des bras, avant-bras et épaule. Elles sont réalisées à partir d’une tôle repliée sur elle-même dont les bords superposés ont été rivetés. Un espace de quelques millimètres entre les têtes de rivets et les plaques de métal atteste qu’une doublure en tapissait l’intérieur.
Clichés de la pièce d’armure de protection de l’avant bras (longueur 160 mm ; diamètre à hauteur du poignet 90 mm ; diamètre à la hauteur du coude 110 mm).
© Thierry Bouclet/Inrap
Des restes organiques emprisonnés dans la corrosion du métal permettront de préciser sa nature (cuir, feutre…). Cette protection a fait l’objet de mutilations, les pièces en volume ont été écrasées et des plaques ont été repliées. Cette armure se distingue des lorica segmentata de tradition romaine qui n’ont pas l’élément tubulaire pour la protection des jambes et des bras comme l’attestent celles découvertes en Écosse et en Angleterre datées du IIe siècle après J.-C. Datée ici du milieu du Ier siècle avant J.-C., celle de Saint-Just, constitue pour l’instant un exemplaire unique.
Plaque d’armure en connexion dans le fossé.
© F. Malrain/Inrap
Mise en place et démantèlement de trophées (?)
À partir de la répartition du métal dans le fossé d’enclos, il est possible de suggérer qu’un ou des trophées étai(ent) exposé(s) au soleil levant sur la façade orientale de l’enclos de part et
d’autre de l’entrée. L’origine des pièces métalliques n’est pas documentée mais on peut supposer qu’elles sont issues d’un champ de bataille. Combien de temps sont-elles restées exposées ? À l’abri ou soumises aux intempéries ? À toutes ces interrogations il est quasiment impossible d’apporter des éléments de réponse. Ce que l’on sait, en revanche, c’est qu’à un moment donné, après la destitution du trophée ou lorsqu’il s’est naturellement effondré, des gestes singuliers ont été portés sur les pièces métalliques : arrachements, coups, aplatissements, cisaillements. Une fois ces bris rituels réalisés, les pièces ont été jetées et éparpillées dans les fossés mais leur répartition montre une volonté de séparer les éléments qui fonctionnaient ensemble, les orles sont ainsi dissociés des umbos de bouclier et certaines pièces semblent avoir été déposées en respectant des règles de dépôt comme les casques qui reposent sur leur base, et non sur leur timbre.
Dépôt de mobilier dans le fossé.
© F. Malrain/Inrap
Des fosses à banquet
Quatre fosses singulières, datées du milieu du Ier siècle av. J.-C. ont été creusées dans le sol. Deux banquettes parallèles, séparées d’environ 1 m, matérialisent une table sur laquelle un foyer a été installé. Les assises habillées de bois permettaient l’installation d’une douzaine de convives, soit près d’une cinquantaine en tout, mais des rassemblements plus importants ont pu exister.
Les analyses chimiques et micromorphologiques ont été déterminantes pour en préciser la fonction. Des foyers de forte intensité, mais non répétés, montrent qu’elles n’ont été utilisées qu’à une seule occasion. Du vin y a été déversé en abondance et peut-être consommé comme le suggère un fragment de passoire. La présence de corps gras d’animaux non ruminants y a été aussi relevée. Le feu, le déversement de liquide, les macrorestes végétaux transformés (fragments de galette) suggèrent que des banquets s’y sont déroulés, mais on ne peut exclure un usage de fosse à libation, voire d’autel, ces fonctions n’étant pas antinomiques. La commensalité d’un banquet outre les liens de clientélisme qui peuvent en réunir les acteurs, n’est pas nécessairement dépourvue d’aspects religieux.
Les dépôts humains du sanctuaire
Ils sont classés en deux catégories, les dépôts primaires de corps et les secondaires, constitués d’ossements d’une ou de plusieurs parties anatomiques. Ils sont primaires quand le corps a été placé dans une fosse et s’y est décomposé, et secondaires si la décomposition a eu lieu ailleurs que sur le lieu de découverte. Les états de conservation des inhumés sont variables. Tous ont subi des érosions aussi bien naturelles que mécaniques. Les défunts ont été placés dans des fosses plus ou moins rondes, adossés contre la paroi. Six ont la jambe droite repliée, voire contrainte, le pied sous les fesses et la jambe gauche fléchie reposant sur la paroi. Le bras gauche est placé derrière la jambe gauche et le droit sur la cuisse droite. Pour les deux autres, la position est similaire mais inversée.
Les crânes sont absents, ils ont pu être détruits par l’érosion ou les labours. La présence de dents au fond des fosses et pour quelques individus de la mandibule montre que les corps étaient complets au moment du dépôt. Tous sont des adultes jeunes, matures ou âgés, quatre sont de sexe masculin et pour les quatre autres la diagnose n’a pas pu être réalisée. Ils ont été inhumés non loin les uns des autres au Nord-Ouest d’un enclos.
Les dépôts secondaires de restes dans les fosses ou fossés
899 restes osseux représentant une quinzaine d’individus ont été découverts dans des fosses et fossés et s’ajoutent au le squelette partiel et disloqué d’un adulte. Les ossements appartiennent majoritairement au squelette crânien dans le secteur 1 et au post-crânien dans le secteur 2. Plusieurs pièces portent des traces de coup, de découpe ou d’exposition. Les traces sur les crânes ont pu être faites dans le but de prélever la face et de fabriquer des masques. Aucun produit fini n’a été mis au jour à Saint-Just, mais plusieurs masques sont connus dans la région en contexte cultuel ou domestique. Les traces sur les membres sont le fruit de la désarticulation et de la décarnisation. Une fosse a recueilli 830 fragments. Leurs dimensions soulignent une volonté de concasser ces pièces et certaines d’entre-elles ont été chauffées. Leur enfouissement est volontaire dans une fosse creusée à cet effet. Des datations absolues situent les décès de tous ces individus entre le début du IIe et la fin du Ier siècle av. J.-C.
Restes humains concassés de 4 adultes minimum déposés dans la fosse 315.
© E. Pinard Inrap HdF, UMR 8215 Trajectoires
Des cultes pour qui ?
Ce qui différencie ce site des sanctuaires connus en Gaule Belgique, c’est la répartition des vestiges, selon leur nature, dans l’espace. Dans le fossé où se trouvent des os animaux, il n’y a pas ou peu de métal, à l’inverse là où les objets en fer sont concentrés, il n’y a que peu d’ossements. La répartition des dépôts humains montre aussi des différences, d’un côté des inhumations d’adultes en position assise, des restes osseux témoignant de travail sur les boites crâniennes, d’autres volontairement concassés, chauffés, et de l’autre des membres qui ont été désarticulés et décarnisés. Il y a donc une véritable géographie des dépôts, qui suscite bien des interrogations. Est-elle liée à des divinités différentes, de la guerre, de la terre, souterraine… ? Réalisés par des personnes de statuts différents ? Selon quels rythmes et en quelles occasions ? Si l’étude de ce sanctuaire n’a que peu de chance de répondre à ces questions, elle apportera un lot considérable d’informations inédites. Après la période gauloise, le site sera encore fréquenté pendant près de quatre siècles, c’est aussi dans ce secteur que le martyre de saint Just pourrait avoir eu lieu…
Contrôle scientifique : Service Régional de l’Archéologie (Drac Hauts-de-France)
Recherche archéologique : Inrap
Responsable scientifique : François Malrain (responsable d’opération), Nathalie Descheyer,
Estelle Pinard, Inrap
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