Le creusement du canal Seine-Nord Europe a été l'occasion d'étudier un site au sud-ouest de Cambrai qui fut occupé par l'Homme de Néandertal et l'Homme moderne (Homo Sapiens Sapiens ) entre 50 000 ans et 30 000 ans avant notre ère. De nombreuses disciplines scientifiques sont associées pour mieux percevoir les activités de ces hommes dans leur environnement.

Dernière modification
19 février 2016

Préalablement aux travaux de creusement du canal, plusieurs diagnostics ont eu lieu entre 2008 et 2010 afin de cerner le potentiel de sites paléolithiques. Aujourd'hui, près de 80 kilomètres sur les 106 prévus ont été diagnostiqués, soit plus de 500 sondages profonds en puits répartis sur quatre départements : le Nord, le Pas-de-Calais, la Somme et l'Oise.
 

Des fouilles exceptionnelles

Des fouilles exceptionnelles
À l'issue des résultats, les archéologues ont fouillé à Havrincourt des occupations préhistoriques sur une superficie de 1 500 m² à 5 mètres de profondeur. Une seconde fouille a été réalisée sur plus de 4 500 m² à 6 mètres de profondeur. Exceptionnel sur de si grandes surfaces et à de telles profondeurs, le décapage a permis d'identifier deux niveaux d'occupation datant approximativement de 50 000 ans pour le plus ancien, et d'environ 30 000 ans pour le plus récent.

L'exploitation d'un même territoire par Néandertal et Homo Sapiens Sapiens

L'occupation datant de 50 000 ans correspond à la fin du Paléolithique moyen. Certains indices indiquent que les silex étaient taillés selon la méthode de débitage Levallois (du site éponyme), caractéristique de la période. Les pièces, de belle facture, attestent la maîtrise et le savoir-faire des hommes qui les taillaient. L'ensemble des éléments de la chaîne opératoire (nucléus, éclats, outils) est présent sur place, associés à quelques restes animaux.
L'occupation datant de 30 000 ans serait attribuable à la phase ancienne du Paléolithique supérieur. Les datations radiométriques devraient en confirmer le caractère exceptionnel pour le nord de la France. Le niveau se compose entre autres de quatre locii, dans lesquels des restes animaux sont associés à des vestiges d'industrie lithique. L'ensemble du cortège de la steppe à mammouths a été retrouvé : rhinocéros laineux, bison, cheval, renne, mammouth. Chaque locus, implanté sur 2 à 10 mètres carrés, comporte parfois plus de 400 artefacts.
L'étude de ces vestiges permettra de mieux comprendre l'organisation territoriale des groupes humains. En effet, la découverte de ces locus isolés peut traduire une segmentation des activités dans l'espace, révélatrice du degré de planification de ces hommes comme de leur organisation sociale, et/ou une récurrence d'occupation par plusieurs groupes.
Ce niveau d'occupation est une découverte exceptionnelle pour la région. Son étude fournira des données fondamentales pour appréhender les modalités de peuplement du nord-ouest de l'Europe par Homo sapiens sapiens. D'autre part, ces fouilles sont remarquables car elles prouvent l'exploitation successive d'un même territoire par l'Homme de Néandertal (occupation la plus ancienne) et l'Homme moderne (occupation la plus récente). 

L'apport des diverses disciplines scientifiques

Outre l'étude des silex taillés, qui est au coeur de la démarche du paléolithicien, de nombreuses disciplines sont sollicitées par l'archéologue pour appréhender les activités de l'homme dans son milieu : la mise en place des dépôts et la nature des sols (géologie), l'évolution du paysage (géomorphologie), le climat (malacologie ou étude des coquillages), le couvert végétal (palynologie ou étude des pollens), les espèces animales et éventuellement les saisons d'abattage (archéozoologie).

Des occupations complémentaires dans le temps et l'espace

La succession des décapages menés à Havrincourt a permis aux archéologues d'étudier des séquences loessiques de plus de 6 mètres. Compte tenu des rares données existantes dans le Nord de la France pour le Pléniglaciaire moyen (± 55 000 à 30 000 ans), et au regard de celles attribuées au Début Glaciaire Weichselien (± 112 000 à 70 000 ans), les séquences loessiques d'Havrincourt serviront désormais de repères pour cette période permettant une reconstitution paléoenvironnementale et climatique au Pléniglaciaire moyen du Weichselien (± 55 000 à 30 000 ans) en contexte de versant. 
Responsable scientifique : Émilie Goval, Inrap
Aménageur : Voies Navigables de France
Suivi scientifique : Gilles Prilaux (Inrap), Luc Vallin (SRA Nord-Pas-de-Calais)