À Thérouanne, capitale de la cité des Morins, l'Inrap a mis au jour les vestiges d'un quartier artisanal antique le long d’un chenal de la Lys. Le site, préservé par les alluvions, a livré les vestiges d'un canal aménagé, d'un atelier de verrier et un abondant mobilier (métal, cuir, os, fragments de meule) dans un remarquable état de conservation.

Dernière modification
03 juillet 2023

La fouille est située au sud-ouest de la ville de Thérouanne, le long de la Voie Communale de l’Abbaye de Saint-Augustin, au bas du versant nord de la « Lys ». Elle s’inscrit dans un projet d’aménagement qui prévoit l’ouverture d’une station d’épuration à l’emplacement de la zone investiguée.

Un quartier artisanal aux bords de la Lys

Le site antique mis au jour durant la fouille correspond à un quartier artisanal qui se développe durant le Haut-Empire au sud­-est de la ville, le long d’un chenal canalisé de la « Lys ». La position des vestiges en bas de la pente du versant nord de la rivière a favorisé leur conservation. En effet, ils ont été scellés par des alluvions liées aux débordements de la rivière et par des colluvions provenant du versant. Le site antique a ainsi été rapidement recouvert par une couche de sédiments, qui a atteint une épaisseur de 2,50 m à 3 m, qui l'a remarquablement préservé. 

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Vue générale de l'ensemble de la fouille de Thérouanne (Pas-de-Calais) en 2023.

© Frédéric Audouit, Inrap

Les vestiges antiques correspondent à un quartier artisanal, principalement représenté par deux bâtiments aménagés le long d’une voirie perpendiculaire à l’axe du canal. Le premier bâtiment, installé au sud-ouest de la voirie, s’étend sur une surface de 115 m2. Il n’est conservé qu’au niveau des fondations dont la profondeur augmente en allant vers le bas de la pente. L’extrémité sud-est du bâtiment est installée sur un apport conséquent de remblai au bas de la pente. Cet aménagement correspond à une plateforme en craie, reposant sur de nombreux pieux en bois. Sur la plateforme, les remblais devaient probablement être maintenus par des murs en pierres sèches et former un quai.

Un atelier de verrier

Le deuxième bâtiment, installé au nord-est de l’axe de la voirie, présente, lui, un état de conservation remarquable, avec des murs en élévation et des sols en limon associés, conditions rarement observées en milieu périurbain où les vestiges de bâtiments sont généralement conservés sous les niveaux de circulation, au niveau des fondations. Plus exceptionnel encore, il s'agit de l’atelier d’un verrier. Ont été également découverts un cylindre de verre bleu, destiné à être fondu, et, dans le comblement d’un four, une « coulure » de verre également bleu. La fouille du bâtiment (toujours en cours) a permis d’identifier plusieurs phases d’occupation en lien avec des fours. Les réaménagements de l’espace (dont l'un consécutif à un incendie) semblent indiquer une activité étendue dans le temps. La métallurgie fine est également envisagée au sein du bâtiment.

La fouille du chenal a livré une quantité très importante de rejets de boucherie d’os de bovins. Toutes les omoplates des bovins présentent la trace du croc du boucher et tous les os rejetés sont identiques, ce qui induit un tri préalable avec rejets des parties non-utiles. Durant l’époque antique, l’activité de boucherie s'accompagne d'activités connexes (tannerie, tabletterie, fabrication de colle).

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Chaussures romaines découvertes dans le chenal canalisé de la "Lys" sur la fouille de Thérouanne (Pas-de-Calais) en 2023.

© Dominique Bossut, Inrap

Ici, le travail du cuir est représenté par la découverte, toujours dans les comblements du canal, de nombreuses chaussures en cuir avec semelles cloutées et de nombreuses chutes de cuir triangulaires, indices de la présence probable dans le secteur d’un cordonnier et d’une tannerie qui, comme les bouchers, auraient utilisé la rivière comme dépotoir.

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Chutes de cuir découvertes dans le fond du canal de la fouille de Thérouanne (Pas-de-Calais), en 2023.

© Dominique Bossut, Inrap


Enfin, plusieurs fragments de meules ont été découverts sur le site, dont certains sont trop volumineux pour correspondre à des meules manuelles, semblant indiquer la présence d’un moulin, probablement situé non loin du canal découvert dans l’emprise de fouille.

Un canal antique de la Lys

La découverte d’un canal aménagé durant l’époque antique est une première dans le Nord-Pas-de-Calais. Le très bon état de conservation de celui-ci a permis d’observer la fabrication d’une berge stable sur le versant nord-ouest de la rivière. Cette berge prend la forme d’une succession d’au moins trois palées (planches maintenues par des pieux), avec une ligne de pieux supplémentaires dans l’eau. Le canal est présent dans l’emprise sur une longueur d’environ 30 m et sa relation avec le premier bâtiment, aménagé en partie sur le « quai », reste à mettre en évidence.

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Vue vers le nord-ouest sur le canal en premier plan et l'atelier de verrier en second plan.

© Frédéric Audouit, Inrap

La fouille des niveaux situés au fond du canal est très complexe parce que la remontée constante de l’eau (le site a été intégralement inondé à trois reprises au cours de l'intervention) empêche de reconnaître la stratigraphie. Les quelques tests effectués dans le sédiment ont livré toutefois un mobilier abondant et extrêmement bien conservé. On compte de nombreuses monnaies, des petits objets en bronze avec dorure, des stylets, des fibules et de fines broches dorées. Des objets plus volumineux ont également été découverts tels que des gaffes (objets qui se rapportent à la batellerie), des clés, des plaques et des tiges métalliques, un gros galet exogène et rainuré dans la longueur, qui a sans doute servi d’ancre ou de lest pour un filet. 

Une phase d’occupation antique tardive

Une quinzaine de puits maçonnés, un large fossé orienté selon un axe nord-est/sud-ouest recoupant la voirie et les bâtiments et un probable bassin maçonné, associé à une canalisation en terre cuite, sont postérieurs à l’abandon des bâtiments et semblent indiquer une continuité d’occupation du site durant le Bas-Empire.

Un bâtiment daté du Bas Moyen Âge

La période romaine n’est pas la seule représentée sur le site et un bâtiment médiéval d’environ 100 m2 est apparu au cours de la fouille dans des niveaux de colluvions postérieurs à l’abandon des vestiges datés de l’Antiquité. Le bâtiment présente plusieurs pièces, avec des murs faiblement fondés, ainsi qu'un petit cellier excavé maçonné et des vestiges d’un foyer évoquant une cuisine. Ce bâtiment pourrait appartenir à un ensemble plus vaste se développant à l’ouest de l'emprise. Son abandon est daté du milieu du XVIe s., une période qui correspond à la destruction de Thérouanne par les troupes de Charles Quint.

Aménageur : Noréade
Contrôle scientifique : Service Régional de l’Archéologie (Drac Hauts-de-France)
Recherche archéologique : Inrap
Responsable scientifique : David Labarre