L'une, boulevard de la Trémouille, est centrée sur la « porte d'eau » qu'empruntait le Suzon à travers la ville. L'autre, place de la République, concerne la « porte Saint-Nicolas », ménagée au XVIe siècle à l'entrée du bastion du même nom, sur un agrandissement de l'enceinte gagné sur un important faubourg médiéval. Les deux fouilles ont été menées de front à partir d'août 2010, en plusieurs tranches successivement rebouchées de façon à ne jamais couper la circulation.
Contexte historique
Fouille archéologique à Dijon : le boulevard de la Trémouille, à l'occasion de la construction du tramway à Dijon (2010).
Dans la première partie du Moyen Âge, l'agglomération de Dijon s'étendait autour de deux pôles, le noyau fortifié du castrum d'origine romaine (couvrant moins de 9 hectares autour de l'hôtel de ville et du palais de justice actuels), et à 400 mètres de là vers l'ouest, le bourg de l'abbaye Saint-Bénigne (s'étendant sur 3 ou 4 hectares au sud de l'église du même nom). Entre les deux s'écoulait le Suzon, cours d'eau aujourd'hui canalisé et recouvert, qui traverse le centre-ville du nord au sud avant de se jeter dans la rivière d'Ouche.
C'est au duc de Bourgogne qu'on attribue la décision, dans le courant du XIIe siècle, d'ériger une nouvelle enceinte beaucoup plus large qui ceigne ces deux pôles. À l'intérieur de ces limites, le tissu urbain s'étoffe progressivement. Dès la fin du XIIe siècle, quelques mentions d'archives laissent supposer que la nouvelle muraille est construite, au moins par endroits. Son édification se prolonge et connaît divers remaniements, aux XIVe et XVIe siècles en particulier.
Si la raison d'être et la nature exacte des restaurations médiévales de cette muraille demeurent à préciser, celles du XVIe siècle sont mieux connues grâce aux archives. L'élément déclencheur en est le siège de la ville en 1513, qui s'inscrit dans le contexte des guerres d'Italie et de la rivalité entre le roi de France et l'empereur germanique. Le 6 septembre 1513, Dijon est assiégé par les Suisses qui viennent de battre les Français à Novare et tentent de gagner Paris. C'est l'empereur Maximilien d'Autriche, époux de Marie de Bourgogne, qui les incite à attaquer la ville dans l'espoir de récupérer le duché de Bourgogne. L'épreuve est toutefois de courte durée : les assiégeants lèvent le camp dès le 13 septembre 1513. Mais l'épisode aura marqué les esprits, et incité les Dijonnais à compléter leur système de fortification par l'adjonction de plusieurs ouvrages extérieurs, suscitant tout une série de travaux entre 1515 et 1558. Ainsi, en 1523, le gouverneur de Bourgogne, M. de la Trémouille, fait édifier une tour de plan semi-circulaire en avancée sur les fossés, à l'endroit où la muraille franchit le Suzon. Mais c'est à un ingénieur venu exprès de Sienne en Italie, Girolamo Belarmato, que l'on doit la conception d'un type novateur de bastions à terrasse en forme de pentagone ou d'as de pique, dont trois exemplaires sont ajoutés au périmètre de l'enceinte, entre 1547 et 1558. Au nord en particulier, la création du bastion Saint-Nicolas, qui protège la porte du même nom, dont le dispositif est revu à cette occasion, nécessite la destruction préalable d'un quartier entier développé hors les murs, le faubourg Saint-Nicolas.
Les fortifications résultant de ces interventions successives se reconnaissent sur plusieurs vues cavalières et plans de villes des XVIe-XVIIIe siècles. Elles sont progressivement détruites au cours du XIXe siècle, et leur tracé est à l'origine de la ceinture de boulevards et de places du centre-ville actuel.
Boulevard de la Trémouille : la porte d'eau du Suzon et le pont aux Ânes
D'emblée, la fouille du boulevard de la Trémouille a livré des vestiges architecturaux très conséquents avec des maçonneries arasées à faible profondeur et conservées sur plusieurs mètres de haut. La tour de plan semi-circulaire construite en 1523 sur le fossé extérieur, et dont certains vestiges avaient été reconnus dès les travaux préalables de 2009, englobe une tour plus ancienne, de plan rectangulaire et intégrée à un tronçon de courtine, également mise au jour dans la fouille de 2010. Datant vraisemblablement de la fin du XIIIe ou du XIVe siècle, il faut reconnaître dans cette tour rectangulaire la « tour aux Ânes », mentionnée dans un texte dès 1314. Cet ouvrage primitif franchissait les deux bras que comptait alors le Suzon par un système d'arches en pierre de taille, en partie dégagées lors de la fouille. Mais vers l'intérieur de la ville, la fouille a montré que les deux bras de la rivière se rejoignaient en un même lit de 8 mètres de large : celui-ci se trouve alors encadré par deux quais de pierres de taille, construits en même temps que la tour rectangulaire. Entre les deux quais, à 6 mètres en avant de la tour, la fouille a dégagé un pont édifié lors de la même campagne, qui franchit le Suzon au moyen de deux arches : il s'agit du « pont aux Ânes », succinctement mentionné sur quelques vues des XVIe-XVIIIe siècles. C'est donc une véritable petite opération d'urbanisme de la fin du XIIIe ou du XIVe siècle, que la fouille a révélé autour du Suzon. Au-delà du pont, en allant vers l'intérieur de la ville, s'étendait sur une rive le bâtiment du « cellier de Clairvaux », en partie conservé de nos jours et datable autour de 1200 ; le long de la rive opposée, la rivière entraînait les moulins de la ville.
Le Suzon se trouve aujourd'hui canalisé sous une voûte du XIXe siècle, beaucoup plus étroite que son lit médiéval, et qui respecte les maçonneries des quais du XIVe siècle. Sa construction et les remblaiements qui l'ont accompagnée ont préservé l'essentiel des maçonneries médiévales, mais une seule arche du pont. La tour du XIVe siècle a conservé des traces d'ancrage et quelques spécimens en place de pièces métalliques, révélant des systèmes de grilles suspendues au-dessus de la rivière, voire même d'accroche de vannes permettant de réguler le cours de l'eau. Enfin, les quais ont livré toute une stratigraphie de niveaux de voiries et de sols d'occupation, accumulés du XIVe au XVIe siècle, et entrecoupés de très importants dépôts de limons apportés par les inondations.
Place de la République : du faubourg médiéval à la nouvelle porte Saint-Nicolas
D'emblée, la fouille du boulevard de la Trémouille a livré des vestiges architecturaux très conséquents avec des maçonneries arasées à faible profondeur et conservées sur plusieurs mètres de haut. La tour de plan semi-circulaire construite en 1523 sur le fossé extérieur, et dont certains vestiges avaient été reconnus dès les travaux préalables de 2009, englobe une tour plus ancienne, de plan rectangulaire et intégrée à un tronçon de courtine, également mise au jour dans la fouille de 2010. Datant vraisemblablement de la fin du XIIIe ou du XIVe siècle, il faut reconnaître dans cette tour rectangulaire la « tour aux Ânes », mentionnée dans un texte dès 1314. Cet ouvrage primitif franchissait les deux bras que comptait alors le Suzon par un système d'arches en pierre de taille, en partie dégagées lors de la fouille. Mais vers l'intérieur de la ville, la fouille a montré que les deux bras de la rivière se rejoignaient en un même lit de 8 mètres de large : celui-ci se trouve alors encadré par deux quais de pierres de taille, construits en même temps que la tour rectangulaire. Entre les deux quais, à 6 mètres en avant de la tour, la fouille a dégagé un pont édifié lors de la même campagne, qui franchit le Suzon au moyen de deux arches : il s'agit du « pont aux Ânes », succinctement mentionné sur quelques vues des xvie-xviiie siècles. C'est donc une véritable petite opération d'urbanisme de la fin du xiiie ou du xive siècle, que la fouille a révélé autour du Suzon. Au-delà du pont, en allant vers l'intérieur de la ville, s'étendait sur une rive le bâtiment du « cellier de Clairvaux », en partie conservé de nos jours et datable autour de 1200 ; le long de la rive opposée, la rivière entraînait les moulins de la ville.
Le Suzon se trouve aujourd'hui canalisé sous une voûte du XIXe siècle, beaucoup plus étroite que son lit médiéval, et qui respecte les maçonneries des quais du XIVe siècle. Sa construction et les remblaiements qui l'ont accompagnée ont préservé l'essentiel des maçonneries médiévales, mais une seule arche du pont. La tour du XIVe siècle a conservé des traces d'ancrage et quelques spécimens en place de pièces métalliques, révélant des systèmes de grilles suspendues au-dessus de la rivière, voire même d'accroche de vannes permettant de réguler le cours de l'eau. Enfin, les quais ont livré toute une stratigraphie de niveaux de voiries et de sols d'occupation, accumulés du XIVe au XVIe siècle, et entrecoupés de très importants dépôts de limons apportés par les inondations.
Place de la République : du faubourg médiéval à la nouvelle porte Saint-Nicolas
À 250 mètres de là, place de la République, à l'extrémité nord de la ville ancienne, l'autre fouille a livré elle aussi toute une stratigraphie de niveaux d'occupation. Les plus profonds remontent encore une fois au XIVe siècle. On se trouve à cette époque à l'extérieur de l'enceinte, à proximité d'une porte médiévale : une large voie empierrée à ornières, sans cesse rechargée, longe alors le fossé de la ville. De l'autre côté de cette voie et pour la même période, les premières constructions du faubourg Saint-Nicolas sont attestées en léger contrebas (elles ont été reconnues lors d'un diagnostic en 2009, à une trentaine de mètres de là).
Au XVe siècle, dans l'emprise de la fouille de 2010, un bâtiment vient mordre sur les niveaux de chaussée plus anciens. Sa présence trahit peut-être une extension du faubourg dans l'espace, par rapport au noyau de constructions initial attesté sous le milieu de la place. Pourtant, ce bâtiment est rasé dès le XVIe siècle, pour être recouvert d'un empierrement de voirie muni d'ornières. Puis, durant le second tiers du XVIe siècle au plus tard, est installée à cet endroit la nouvelle porte Saint-Nicolas. Elle est située à une centaine de mètres en avant de l'ancienne, et sa construction est indissociable de celle du bastion contigu en forme d'as de pique, conçu selon les plans de Girolamo Belarmato. Ces travaux signent la disparition définitive du faubourg médiéval, dont la destruction est nécessaire à la mise en place du bastion.
Bastion et porte du XVIe siècle sont à leur tour bordés par un fossé extérieur, franchi par un pont dont la fouille a retrouvé une pile maçonnée. La porte de ville est constituée d'un porche rectangulaire, bordé d'un bâtiment étroit et précédé, du côté de la ville, par une sorte d'avant-cour entourée de murs percés d'un portail dans l'axe du passage. Seul le détail d'une gravure de 1696 éclaire ici l'interprétation des structures trouvées en fouille (voir album photos). Du côté de la ville, un segment de voie à découvert, protégé et surveillé par le nouveau bastion, relie cet ouvrage à l'ancienne porte toujours en place dans l'enceinte médiévale. La fouille a dégagé un segment empierré de cette voie, encore marquée par des ornières. Enfin, entre la porte en avancée du XVIe siècle et le tracé de l'enceinte médiévale, un pan de courtine flanquée vers l'intérieur de curieux contreforts-niches barre l'emplacement de l'ancien fossé.
L'apport des fouilles à la topographie de Dijon
Ces deux fouilles éclairent deux aspects particuliers de la topographie dijonnaise et de sa dynamique de croissance à la fin du Moyen Âge, en rapport avec l'enceinte urbaine. Celle du boulevard de la Trémouille montre l'avancée de l'urbanisation à la fin du XIIIe ou et au XIVe siècle dans une zone proche de l'enceinte médiévale peut-être encore inachevée, et met en évidence l'entrée du Suzon dans la ville. Ce faisant, elle révèle l'importance de cette petite rivière dans le paysage urbain et dans la vie quotidienne du Dijon médiéval, ainsi que la nécessité d'une maîtrise de son accès, de son cours et sans doute de son débit.
Place de la République, la seconde fouille éclaire, pour la même époque, la constitution d'une trame de voirie hors les murs, sur laquelle se greffe un faubourg en rapide expansion.
Enfin, par rapport aux questions de fortifications proprement dites, deux types spécifiques de portes de ville sont ici mis en évidence. Boulevard de la Trémouille, il s'agit, avec la « porte d'eau » du Suzon aux XIVe-XVIe siècles, d'un ouvrage original, rarement préservé pour ces périodes et fort peu documenté. Place de la République, c'est l'introduction au milieu du XVIe siècle de dispositifs défensifs nouveaux qui se trouve illustrée par la fouille de la « porte Saint-Nicolas ».
Aménagement : Le Grand Dijon
Coordinateur scientifique : Benjamin Saint-Jean-Vitus