Au port de La Rochelle, l'Inrap a fouillé le quai Durand et mis au jour les vestiges des aménagements successifs des abords du quartier Saint-Nicolas, du Moyen Âge à la période moderne, dans un enchevêtrement complexe : canal, ponts, quai, enceinte fortifiée, voierie et habitat.

Dernière modification
26 mai 2021

La fouille du quai Durand, sur la rive sud du chenal Maubec, a eu pour objet de retrouver l'organisation des constructions qui s'y sont succédées au cours du Moyen Âge et de l'époque moderne. Elle documente un espace longeant le quartier Saint-Nicolas, entre les ponts Maubec et Saint-Sauveur, au débouché du canal dans le port. L’emprise correspond actuellement à la bande de roulement d’une voie de bus largement recoupée par des réseaux.

Vue générale de la fouille depuis la rue de la Sardinerie et vers le port.

Vue générale de la fouille depuis la rue de la Sardinerie et vers le port.

© Annie Bolle, Inrap

Développement d’une ville nouvelle médiévale

La ville de la Rochelle émerge dans les années 1130, après la chute de Châtelaillon. Forte de ses nombreux privilèges et de l'attrait de son port, elle prend vite une extension qui l'oblige à sortir de son enceinte primitive. Vers le sud, elle s'étend autour du havre sur deux îlots en partie artificiels : le quartier du Perrot à l'ouest et le quartier Saint-Nicolas à l'est. Ce dernier, séparé de la ville par le chenal de Maubec, y est relié grâce au pont Saint-Sauveur construit en 1200 puis, à une date inconnue, par le pont Maubec qui raccorde la porte Maubec à la rue Sardinerie.

Plan restitué des fortifications de La Rochelle aux époques médiévales et modernes.

Plan restitué des fortifications de La Rochelle aux époques médiévales et modernes.

 © Jean-Paul Nibodeau, Inrap

Le quartier Saint-Nicolas est pourvu d'une enceinte fortifiée grâce à l'argent fourni par le roi d'Angleterre Jean-sans-Terre en 1205. Les travaux, rendus difficiles par l'environnement marécageux du quartier, perdurent jusqu'au XIVe siècle. Au début du XVIIIe siècle, les fortifications du côté du Maubec sont devenues obsolètes du fait de l'extension de la ville vers l'est (la Villeneuve). La cité est alors protégée par une enceinte bastionnée au début du XVIIe siècle puis par une autre à la fin de ce même siècle.

L'enchevêtrement des constructions, la vétusté des deux ponts où avaient été construits des habitations, des moulins et un corps de garde, et l'envasement du port poussent les édiles à un projet radical : transformer le chenal Maubec en canal de chasse (grâce au débit). À cet effet, les deux ponts médiévaux et les constructions attenantes au cours des années 1730 sont détruits ; la largeur du chenal est réduite, sa profondeur augmentée et un nouveau pont est édifié.

Plan du quartier Saint-Sauveur et Saint-Nicolas avec les ponts Maubec et Saint-Sauveur. Plan attribué à Claude Masse, 1688.

Plan du quartier Saint-Sauveur et Saint-Nicolas avec les ponts Maubec et Saint-Sauveur. Plan attribué à Claude Masse, 1688.

© SHD Vincennes, 1VH 1549, pièce 3, cl V. Miailhe, Inrap

Vers 1780 une écluse est aménagée à l'extrémité du chenal, elle est surmontée d'un bâtiment monumental. L'effet de chasse s'avérant insuffisant, le canal est rélargi et de nouveaux quais sont construits vers 1880, conférant sa physionomie actuelle au secteur.

La défense et les accès du quartier Saint-Nicolas

Des niveaux de voiries descendant vers la grève du chenal Maubec, suggèrent l’existence d’un pont en bois reliant le quartier Saint-Nicolas à la ville. Ces niveaux dont une partie est attribuable au XIIIe siècle sont contemporains de la mise en défense du quartier. La fortification a été identifiée à proximité des deux ponts. Auprès du pont Maubec le mur d’enceinte est large de 2.50 m. Une porte y est aménagée auprès d’une tour d’un diamètre de 4.70 m. L’ouverture est étroite (environ 2 m) et un chasse-roue assure la protection de la tour. Un espace aménagé dans la courtine et dont il ne subsiste qu’une assise, semble indiquer la présence d’une niche pourvue d’une ou de plusieurs archères et assurant la protection de la porte. La construction d’un pont de pierre avec une culée qui vient se plaquer contre la courtine et la tour a entraîné un rehaussement des niveaux de circulation. Les indices chronologiques de la nouvelle voirie correspondent au XIIIe siècle et montrent une évolution rapide des aménagements. Le pont Maubec n’est connu par les sources qu’à partir du XVIe siècle, quand il abritait des moulins et un corps de garde.

Côté pont Saint-Sauveur, une chaussée empierrée de galets amorce la rue Saint-Nicolas. Elle longe l’extrémité d’un mur d’enceinte qui s’apparente au piédroit d’une porte dont le pendant oriental est détruit.

Le mur d’enceinte à l’ouest du pont Saint-Sauveur avec un mur postérieur qui vient s’accoler contre son parement externe.

Le mur d’enceinte à l’ouest du pont Saint-Sauveur avec un mur postérieur qui vient s’accoler contre son parement externe.

© Charlène Mathieu, Inrap

Cette courtine d’une largeur estimée de 1,60 m est longue de 10,50 m et se termine à l’ouest par une tour dont la forme n’est que partiellement connue. Elle marque un angle de la fortification documentée par des plans du XVIIe siècle. Ceux-ci indiquent la présence d’une porte au sud de la tour, dont subsiste un massif de maçonnerie. Des niveaux de voiries ont été reconnus sur une faible surface.

Vestiges de la tour près de la porte de la petite rive, dont on voit le massif à droite. L’intérieur est transformé après l’installation d’une cheminée.

Vestiges de la tour près de la porte de la petite rive, dont on voit le massif à droite. L’intérieur est transformé après l’installation d’une cheminée.

 © Jean-Sébastien Torchut, Inrap

À l’angle du pont Saint-Sauveur, un aménagement vient percer la courtine. Très détruit par des réseaux, il reste difficile à interpréter. On y reconnait un escalier qui pourrait conduire à un espace situé en contre-bas de la fortification.

Densification de l’habitat au-devant des fortifications

Entre les deux ponts et à l’extérieur de l’enceinte, des bâtiments sont installés dont les plans ne sont pas identifiés. Les niveaux les plus anciens contiennent des traces d’activité de forge. Ils sont recoupés par la construction d’un dalot dans le courant du XVIe siècle.

Près du pont Saint-Sauveur, la cage d’un escalier à vis semble marquer la limite occidentale de ce ou ces bâtiments par ailleurs attestés dès le XVe siècle.  Plus tardivement, au XVIIe siècle, des textes donnent la description de la maison d’un cabaretier installé près du pont Maubec dont des vestiges de murs de cloisonnement interne et d’une sole de four recoupée par un puits pourraient être les témoins. Dans l’état final, les sols présentent un fort pendage vers l’ouest, comme vers le sud. Ils montrent une unité parcellaire entre les deux ponts, confirmée par l’existence d’une maison ouvrant à la fois sur la rue Sardinerie et la rue Saint-Nicolas. À titre d’hypothèse, cette maison pourrait être celle portant l’enseigne de la Croix Verte, détruite en 1740.

De l’autre côté de la rue, la réoccupation de la fortification encore en élévation se traduit par la fermeture du poste de tir protégeant la porte Sardinerie. L’espace est réapproprié pour un usage privé, dernièrement utilisé comme dépotoir.

À l’ouest du pont Saint-Sauveur, c’est sur la fortification en partie arasée que prennent place les aménagements modernes. Il semble que la façade des bâtiments réutilise le parement sud de l’enceinte. D’épais remblais liés à une activité métallurgique couvrent la tour partiellement arasée. Ils sont recouverts par une cheminée. Dans la première moitié du XVIIe siècle on trouve la mention d’une maison qui empiète sur la muraille et sur une tourette située devant la porte de la Petite Rive.

Hors de l’enceinte, à l’ouest de la tour, un curieux massif de maçonnerie vient prendre appui en bordure du chenal contre l’ancienne voirie. Il est traversé par un conduit maçonné en pierre de taille. Il présente un fort pendage vers le chenal et son fond dallé porte des traces d’usure très marquées, dus aux passages répétés d’un « chariot » de faible hauteur. L’hypothèse envisageable serait celle d’un contrepoids coulissant appartenant à un engin non identifié.

Quais et voiries modernes et contemporains

Dans le second quart du XVIIIe siècle les terrassements liés à l’aménagement du chenal entraînent la destruction des ponts médiévaux et des habitations attenantes. Les restes de fortification sont arasés. Près du pont Maubec, l’espace au-devant de l’enceinte est remblayé, livrant un mobilier abondant dans les niveaux de dépotoir. Le remblaiement de cet espace va permettre la mise en place d’une voirie sur l’arase du mur et débordant vers le chenal.

Entre les deux ponts de nouvelles constructions prennent place en retrait du chenal. Les murs de façade et de très rares sols sont identifiés en limite sud de l’emprise et le long de la rue Sardinerie. A l’ouest de l’ancien pont Saint-Sauveur, plusieurs niveaux de voiries sont observés. Les chaussées sont constituées de galets de lest, le plus souvent en silex noir. En revanche, le quai qui bordait le chenal et se prolongeait sur le havre, connu par les plans, n’a pas pu être observé.

À la jonction du chenal et du port, un pont est construit à la fin du XIXe siècle, connectant la petite rive à la grande rive, dont les niveaux de circulation ont été retrouvés lors de la fouille.

Aménagement : Ville de La Rochelle
Contrôle scientifique : Service régional de l’archéologie (Drac Nouvelle Aquitaine)
Recherche archéologique : Inrap
Responsable scientifique : Annie Bolle, Inrap
Responsable de secteur :  Jean-Paul Nibodeau