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Les archéologues dévoilent un nouveau pan de l’histoire du Château de Caen (Calvados)
Une équipe de l’Inrap mène de nouvelles investigations au château de Caen, dans le cadre de l’important projet de conservation et d’aménagement entrepris par la Ville. Après huit mois de suivis de travaux et de fouilles, les recherches ont livré des résultats à foison : vestiges mobiliers — céramique, éléments architecturaux, restes animaux — et surtout des maçonneries médiévales qui renouvellent l’histoire du château.Â
Un modillon, deux graffitis, des sépultures…
Les archéologues assurent une surveillance archéologique de l’ensemble des travaux prévus sur le site, qu’il s’agisse des creusements pour les réseaux, des terrassements ou des plantations d’arbres. Ils accumulent ainsi de précieuses données et découvertes.
Parmi les éléments architecturaux mis au jour se trouve un rarissime modillon en pierre — élément servant à soutenir le toit ou l’avant-toit d’un édifice — décoré d’un visage et datant probablement du XIIe siècle (d’après les premières datations stylistiques). Tout aussi remarquable, un graffiti représentant une scène exceptionnelle d'un chevalier poursuivant un dragon cracheur de feu a été retrouvé dans un mur détruit au XIIIe siècle. Un autre graffiti représentant une bécasse des bois a également été mis au jour en réemploi dans un mur d'époque moderne. On observe derrière lui des graffitis plus anciens, tels qu’un pentacle et un cercle.
Modillon du XIIe siècle réemployé dans un mur de la période moderne et représentant un homme moustachu en train de souffler.
© Sandrine Lalain, Inrap
Modillon du XIIe siècle réemployé dans un mur de la période moderne et représentant un homme moustachu en train de souffler.
© Bénédicte Guillot, Inrap
Graffiti représentant un chevalier poursuivant un dragon en vol, daté probablement du XIIIe siècle.
© Bénédicte Guillot, Inrap
Graffiti réprésentant une bécasse des bois (ou vitecoq en ancien normand) retrouvé dans un mur de la période moderne.
© Bénédicte Guillot, Inrap
Graffiti présent sur un encadrement de porte de cave de la caserne Lefebvre construite en 1901 avec des noms et la date 1907.
© Lydia Guérin, Inrap
Mur aménageant une ancienne carrière en cave vers le Café Mancel.
© Lydia Guérin, Inrap
Les travaux ont aussi permis d'étudier les nombreuses carrières qui parsèment le château, certaines réaménagées en caves et d'autres ayant servi de poubelles. La fouille de ces structures a permis de recueillir un abondant mobilier de la fin du Moyen Âge, composé pour l’essentiel de restes céramiques et d’ossements animaux.
Par ailleurs, les premiers terrassements le long de l'église Saint-Georges ont livré, immédiatement au sud du chevet, des sépultures orientées est-ouest, provenant du cimetière paroissial qui existait autour de l'édifice jusqu'à la fin du XVIIIe siècle.
Relevé en cours des sondages au sud du chevet de l'église Saint-Georges après la découverte des premières sépultures.
© Bénédicte Guillot, Inrap
Aux abords de la porte Saint-Pierre, les traces d’un quartier médiéval
Devant la porte Saint-Pierre, les archéologues ont mis au jour les vestiges d'un mur soigneusement construit qui correspondait sans doute à un tronçon de la fortification médiévale fonctionnant avec une ancienne porte, située plus à l'intérieur du château que l’actuelle. Ils ont aussi mis en évidence une ancienne voie médiévale, qui allait en direction de l'église Saint-Georges et du palais ducal. Cette rue, composée de petits blocs calcaires comblant les creux de la roche naturelle, mesurait au moins 4,80 mètres de large. Dans sa partie est, les chercheurs ont mis en évidence plusieurs ornières, probablement creusées par le passage des chariots et/ou des charrettes. À l’inverse, l’absence d’ornière dans la partie ouest pourrait suggérer que cet espace était dédié aux piétons. Les fouilles ont aussi permis de dégager les fondations de plusieurs bâtiments le long de cet axe de circulation, dont certains, assez anciens, n’apparaissent sur aucun plan. C'est donc tout un pan du quartier médiéval aux abords de la porte Saint-Pierre qui est redécouvert par les archéologues, au gré des travaux dans le secteur.
Une entrée fortifiée pour accéder au palais ducal au XIIe siècle
La fouille d’un autre secteur, au sud du donjon et du Vieux Palais, a occasionné des découvertes qui renouvellent complètement la vision du château sous les Plantagenêt au XIIe siècle. Un grand bâtiment, mesurant au moins 30 mètres de long par 20 mètres de large, pourrait être identifié comme un vaste entrepôt utilisé pour stocker les denrées nécessaires au bon fonctionnement du palais. Cet édifice possède plusieurs entrées, de dimensions variables. Les plus étroites (1,10 mètre de largeur) étaient probablement réservées aux piétons, tandis qu’au moins l’une d’entre elles, large de 2,40 mètres, devait permettre le passage des charrettes.
Les recherches ont aussi permis de dégager la base d’une tour jusque-là inconnue et de nouveaux murs, interprétés comme les éléments d’une entrée fortifiée du palais ducal au XIIe siècle, permettant d’accéder à la tour maîtresse du château, alors entourée d’un fossé.
Fouille de l'entrée fortifiée du palais ducal au XIIe siècle, avec au premier-plan la base talutée d'une tour quadrangulaire.
© Bénédicte Guillot, Inrap
Après le rattachement de la Normandie au royaume de France sous Philippe Auguste au tout début du XIIIe siècle, cette partie du château est totalement transformée. La chemise et les quatre tours rondes du donjon sont édifiées, tandis qu’un nouveau fossé est creusé. L'entrée fortifiée et le grand entrepôt sont détruits, afin de donner toute sa visibilité au nouveau donjon, qui apparaît dans le paysage tel qu’on le voit encore aujourd'hui.
L’archéologie au Château de Caen
Les recherches en cours s’inscrivent dans la continuité de nombreuses opérations archéologiques menées au Château de Caen et conduites pour l’essentiel par l’Inrap. Elles ont permis d’étudier tour à tour : des bâtiments liés au travail du fer au Moyen Âge, dont le plus grand fut utilisé comme écurie prestigieuse au début de la Renaissance (fouille préventive de 2005 sous les salles du rempart) ; les fortifications nord-ouest (2005) et nord-est (2014-2015) ; le donjon (2016), le Vieux-Palais (2018), ainsi qu’une grande salle d’apparat, probablement construite par Henri II Plantagenêt, et qui constitue une sorte de « jumelle » de la salle de l’Échiquier (fouille programmée de 2011-2014, reprise en 2021 et 2022). L’ensemble de ces recherches nourrissent considérablement les connaissances sur l’histoire du château des ducs de Normandie.
Un projet collectif de recherche, lancé par le CRAHAM en 2019, reprend toutes les données archéologiques, archivistiques et iconographiques issues des campagnes menées sur le site qui sont également la matière d'une thèse actuellement conduite au musée de Normandie.
Le Château en chantier
Afin de replacer ce site historique majeur au cœur de la politique patrimoniale et touristique de la Ville, un Schéma Directeur de conservation et d’aménagement a été adopté en avril 2017 sur trois axes principaux :
- La conservation et la pérennisation du patrimoine
- La réappropriation du site par les Caennaises et les Caennais
- L'attractivité touristique et culturelle du Château
Après le réaménagement de ses espaces extérieurs (nouveaux aménagements paysagers, mise en lumière des remparts) en 2019, le Château a entamé une véritable transformation, depuis le mois de mars 2023 et à l’issue de laquelle, d'ici deux ans, un parc urbain de près de 4 hectares sera créé dans son enceinte.
Inscrite au Contrat de plan Etat-Région, l’opération est estimée à 21 millions d’euros, financés par la Ville (7,4 millions d’euros) avec le soutien de l’État (130 000 euros), de la Région Normandie (5 millions d’euros) et du Département du Calvados (5 millions d’euros). Le projet bénéficiera également du financement des fonds européens au titre du FEDER.
Le projet de l’architecte Philippe Prost, lauréat du grand prix de l’architecture 2022, et du paysagiste Thierry Laverne a été retenu à l’issue du concours d’architecture lancé en 2021 pour le réaménagement de l’espace intérieur du Château : le cœur de ville ainsi remanié en parc urbain sera composé de plusieurs pelouses et de prairies sèches dont une « grande pelouse » centrale. 143 arbres seront plantés au total sur l’ensemble de l’enceinte intérieure dont 29 arbres de verger. Trois aires de jeux seront aménagées à la porte des Champs, sur la pelouse des remparts et dans le jardin du gouverneur. Différents types de cheminements, un promenoir, des allées et différents « passages », seront déployés pour permettre use circulation aisée sur le nouveau site et la distribution de l’ensemble des lieux et musées via un nouveau parcours d’interprétation.
Contrôle scientifique : Service régional de l’archéologie (Drac Normandie)
Recherche archéologique : Inrap
Responsable scientifique : Bénédicte Guillot, Inrap
Directeur adjoint scientifique et technique : Cyril Marcigny, Inrap