La découverte récente de sépultures en silos à Neuville-au-Bois, dans le Loiret, le long du tracé de l'A19, est à mettre en relation avec les multiples de nécropoles mises au jour en Seine-et-Marne depuis une quinzaine d'années, et qui ont permis une nouvelle lecture des pratiques funéraires de l'âge du Fer.
 

Dernière modification
18 mai 2016

Outre l'apparente sélection au sein de la nécropole communautaire, s'exerçant au bénéfice des individus de haut rang (guerriers, femmes parées,...) , la présence de sépulture en silo à l'écart des nécropoles a rendu patente l'idée d'une partition funéraire et soulignait l'idée d'un traitement post-mortem discriminatoire, concernant certaines classes d'âges (nouveau-nés), des individus de second rang, des individus outragés par une sanction pénale, certains guerriers ou encore de possibles sacrifiés. 

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Ces structures en silo, longtemps appelées « sépultures de relégation » recouvraient un geste d'exclusion d'une partie de la population, ensevelie dans des silos à grains souterrains. Il témoignait des pratiques de marginalisation surtout attestées à La Tène ancienne et moyenne, même si cette partition post-mortem semble englober une vaste partie de la Protohistoire. Les hypothèses concernant ce « déni de nécropole » ont longtemps mis l'accent sur la « personnalité » des défunts marginalisés : criminels, sacrifiés ou esclaves relégués hors des nécropoles.
Depuis une dizaine d'années, la recension et l'étude de ces structures, ont permis de revisiter cette notion de relégation sociale. La grande diversité des cas n'a ici qu'un dénominateur commun, celui du dépôt d'un ou de plusieurs cadavres dans une structure d'ensilage, qui semble dès lors incarner le lien unissant le monde des vivants (la conservation du grain) et le monde des morts, par l'apport d'un cadavre voué à la décomposition.

Les dépôts individuels sont largement majoritaires et l'apparent désordre de la posture des squelettes (nombreuses positions ventrales), avaient présidé à l'idée d'une récupération pragmatique d'une fosse vidée de son contenu et hâtivement réutilisée. Mais on observe également des dépôts multiples, à l'instar des 3 sujets féminins simultanément déposées sur le site « Le Grand Marais » à Varennes-sur-Seine et des dépôts collectifs, regroupant généralement deux corps successivement installés et séparés par un comblement intermédiaire.

L'étude anthropologique de ces nombreux squelettes met ici en évidence une sur-représentation féminine (au profit des sujets matures ou âgés). Mais on peut aussi souligner la présence de très rares nourrissons, de quelques jeunes enfants et de sujets masculins.

Des manipulations anthropiques

La réduction de corps

Cette gestion des corps, grande absente des nécropoles, est aussi rare à observer dans les silos. À Varennes-sur-Seine, un vrac d'os secs a été retrouvé plaqué contre la paroi courbe, alors qu'au centre, quelques ossements délaissés indiquaient son lieu de dépôt initial.

La dessiccation

L'un des corps découvert à Varennes-sur-Seine a subi d'importantes manipulations qui rendent envisageable l'idée d'une dessiccation passive du corps. Le maintien de certaines flexions, le dépôt forcé en position latérale fléchie supposent l'adoption d'une posture originelle très repliée, accentuée en malmenant des articulations et en inversant des flexions préexistantes. Ce corps a pu subir ce décharnement en position repliée ou assise, évoquant une préparation déjà mise en évidence à Acy-Romance : on y observait une dessiccation naturelle, associant le maintien d'articulations labiles et la dislocation de connexions persistantes, par le biais du dépôt temporaire dans un puits rituel absorbant les jus de décomposition.

Décollation et sacrifice humain

Le sacrifice humain est parfois envisagé, notamment pour certains sujets paraissant avoir été précipités du haut du silo ou par la mise au jour d'individus « décapités » ; pourtant, aucun indice tangible (impact sur les vertèbres cervicales) ne permet ici d'accréditer ce type d'hypothèses « sacrificielles ». Le déplacement de certains crânes ne semble qu'étoffer l'inventaire complexe des manipulations post-mortem. Et si « sacrifice » il y a eu, il demeure sans conséquence ostéologique mais, rien ne permet d'exclure la mort « illisible » par étouffement, noyade ou strangulation...

Le mobilier

Ces individus n'ont pas été ensevelis dépouillés ou dénudés et la présence d'enveloppes textiles est souvent attestée. On observe même le maintien de certains éléments de parure et d'accessoires vestimentaires, ainsi les agrafes, anneaux et bracelets en bronze de la femme du site « Le Grand Canton » à Marolles-sur-Seine. Dès lors, comment considérer ces individus vêtus, parfois parés, comme les représentants exclusifs de groupes défavorisés ? On doit juste souligner l'absence de pièce d'armement, pourtant récurrentes dans les nécropoles voisines. Plutôt que d'interpréter ce déficit en terme de relégation sociale, il convient de rappeler le recrutement démographique des silos de l'interfluve, qui livrent près de 2/3 d'individus féminins...

Des réserves d'ossements ?

Nombre de ces squelettes sont incomplets et ont fait l'objet de reprises : si certains semblent avoir été hâtivement éparpillés, la fouille de nombreux autres suggère une compétence méthodique pour ce type de geste intrusif. Bien que privilégiée, la reprise différée du crâne n'est pas exclusive et d'autres os, notamment les os longs des membres, s'inscrivent au titre des prélèvements.
S'il est assez aisé de mesurer les lacunes d'un squelette in situ, il est plus difficile d'évaluer le poids des os secs agencés et mis en scène, hors nécropole. On les retrouve dans les établissements ruraux, les sites à vocation cultuelle et collective, les fosses, les puits, les fossés, les sanctuaires et même les nécropoles ! Mais le plus souvent, préparés ou retouchés, ces os figurent en position secondaire après que la structure d'origine ait été démantelée : trophées, reliquaires, « boîtes-à-crâne »,..., l'agencement initial échappe à l'observation.
L'observation de traces de préparation n'est pas systématique, mais elle renvoie aux schémas d'exposition de crânes prélevés sur des cadavres frais évoqués dans les textes antiques. Bien sûr, la sphère guerrière est proche puisqu'il est fréquent de les retrouver mêlés à des fragments d'armement. On peut songer à l'édification de trophées associant, dans la commémoration d'un guerrier, son crâne et ses armes.

Mais loin de décrypter en ce geste le reflet sanglant, même « barbare » de sacrifices humains on doit prudemment constater la simple association, dans un lieu de conservation souterraine, d'un défunt et des récoltes stockées : l'être humain mort est le meilleur intercesseur entre les dieux et les hommes (culte des ancêtres, héroïsation). Sa présence dans un silo le transforme peut-être en intermédiaire et/ou en protecteur direct des récoltes. En ce sens, cette association post-mortem, consentie par le groupe et dont les modalités de recrutement sont méconnues, ouvrirait sur une gestuelle inscrite dans un vrai rituel de consécration, qui peut aussi faire appel à l'animal, l'armement et certains mobiliers prestigieux. Dans ces fosses, la communication serait dès lors permise entre l'offrande, humaine ou animale, peu à peu dépouillée de ses liquides internes, en des libations ultimes offertes à une divinité souterraine. On pourrait y associer le ploiement des épées, des fers de lance..., puis leur corrosion massive, sorte de pourrissement symbolique de l'armement.
Les gestes sacrificiels convergent, instaurant la volonté d'une dégradation gérée de l'offrande, suivie de manipulations différées : bris des amphores, déplacement des carcasses animales, mutilation des armes... Le corps humain, volontairement desséché ou naturellement décomposé peut, à son tour, faire l'objet de manipulations codifiées.
Bien avant l'établissement de lieux de cultes collectifs, l'animal, l'armement et l'humain, auxquels s'associent des biens de consommation prestigieux, se rejoignent dans une exaltation de la décomposition, faisant s'entrechoquer les mondes funéraire et domestique, les sphères cultuelle et profane. Les sépultures se dispersent, les cadavres s'exhibent et leurs os secs rejoignent le monde domestique dans une proximité macabre inhabituelle...

Valérie Delattre, Inrap / UMR 5594

Voir aussi :

Nous vous invitons à visiter l'exposition « Par Toutatis ! La religion des Gualois », qui se tient actuellement au musée gallo-romain de Lyon-Fourvière, à Lyon jusqu'au 7 janvier 2007.

Bibliographie

Brunaux 2000 : BRUNAUX (J.-L.) : la mort du guerrier celte, Essai d'histoire des mentalités, Rites et espaces en pays celtes et méditerranéen, Etude comparée à partir du sanctuaire d'Acy-Romance (Ardennes, France), édité par Stéphane Verger, Ecole Française de Rome, 2000, p. 231-251.

Delattre et al. 2000 : DELATTRE (V.) avec la collaboration de BULARD (A.), GOUGE (P.) et PIHUIT (P.) - De la relégation sociale à l'hypothèse des offrande : l'exemple des dépôts en silos protohistoriques au confluent Seine-Yonne (Seine-et-Marne), Revue Archéologique du Centre de la France, Tome 39, 2000 ; p. 5-30.

Lambot et Méniel 2000 : LAMBOT (B.) et MENIEL (P.) - Le centre communautaire et cultuel du village gaulois d'Acy-Romance dans son contexte régional. in : Verger S., éd. - Rites et espaces en pays celte et méditerranéen ; étude comparée à partir du sanctuaire d'Acy-Romance. Mémoires de l'Ecole française de Rome, 276 : 7-139.

Mantel 1997 : MANTEL (E.) sous la direction de : Le sanctuaire de Fesques « Le Mont du val aux Moines » Seine maritime, Nord-Ouest Archéologie, 8, C.R.A.D.C., Berck sur mer, 1997, 359 p.

Seguier et Delattre 2005 : SEGUIER (J.-M.) et DElATTRE (V.) : Espaces funéraires et cultuels au confluent Seine-Yonne (Seine-et-Marne) de la fin du Vème au IIIème siècle avant J.-C.), R.A.C.F., Suppl. 26, XXVIème Colloque de l'AFEAF, Paris et Saint-Denis, 2005, p. 241-260.

Villes 1986 : VILLES (A.) - Une hypothèse : les sépultures de relégation dans les fosses d'habitat protohistorique en France septentrionale, Anthropologie physique et Archéologie, Ed. CNRS, Paris.