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Nouvelles découvertes sur le mobilier étrusque d’Aleria-Lamajone (Haute-Corse)
La fouille menée par l'Inrap sur le site d'Aleria-Lamajone a permis de mettre au jour une exceptionnelle tombe étrusque des Ve-IIIe siècles avant notre ère. Plus de deux cents objets ont été inventoriés. Aujourd’hui, l’étude continue en laboratoire et se révèle surprenante.
L’Inrap a réalisé au cours des derniers mois plusieurs fouilles importantes en Corse. Parmi elles, la fouille d’Aleria Lamajone, prise en charge par le fond FNAP dans le cadre d’une prescription par le service régional de l’Archéologie de Corse, s’est terminée le 12 avril 2019. Elle a permis de mettre au jour une nécropole d’époque romaine, au sein de laquelle, se trouvait, profondément enfouie sous une succession de sépultures, une tombe à hypogée étrusque datant du IVe siècle avant notre ère. Après le travail sur le terrain, les travaux en laboratoire et les études (post-fouille) se poursuivent et sont riches de nouvelles découvertes.
Au cœur de la tombe étrusque
Au cœur de la tombe en hypogée, la défunte reposait sur le dos, tête inclinée côté gauche et les bras le long du corps. Elle était parée d’une paire de boucles d’oreille d’or, de deux anneaux en or et en alliage cuivreux aux doigts.
Elle était entourée d’une quarantaine de récipients en céramique. Près de sa tête, les archéologues ont trouvé, à gauche, deux grands skyphoi – sorte de vases à boire ou gobelets à grandes anses – et, à droite, une petite cruche (lécythe aryballisque). Le long de la jambe droite, se trouvent un autre skyphos et trois œnochoés (cruches à vin) décorées de visages féminins. Toutes ces céramiques peintes sont des productions d’Étrurie et sont datées du IVe siècle avant notre ère. Deux vases à parfum (des alabastres) reposent sur les pieds de la défunte et, à leur gauche, des petites coupes à vernis noir, deux miroirs en bronze et un askos (vase à versoir latéral) à tête noire ont été entassés. Enfin, une dizaine de coupes de diverses formes et différentes tailles sont alignées le long du flanc gauche de la femme, marquant l’entrée de la chambre funéraire.
Conservation préventive du mobilier
Dès la caractérisation de la tombe à hypogée, un cahier des charges scientifiques a été défini par les services de l’Etat (DRAC de Corse) visant notamment à la conservation préventive du mobilier archéologique. Ainsi, la préservation de celui-ci a été assurée au fur et à mesure de sa mise au jour sur le terrain. Pour se prémunir de la dégradation inhérente au retour à l’air libre après un séjour 25 siècles sous terre, les objets ont été dégagés juste assez pour permettre des observations. Ils n'ont pas été nettoyés sur place et ont été prélevés avec la terre qu’ils contenaient.
Les productions peintes d’Étrurie du IVe siècle avant notre ère présentes sur les oenochoés (cruches) et certains petits skyphoi (vases) sont en effet extrêmement fragiles. Les rehauts de peintures blanches sont particulièrement sensibles à l’abrasion et demandent un traitement particulier pour éviter leur disparition lors de la fouille et de leur manipulation. Ces peintures, à la différence des céramiques à vernis noir ou à vernis rouge caractéristiques de la culture grecque, n’ont pas été cuites et sont de ce fait peu résistantes. Pour prévenir les éventuels dommages pouvant être causés lors de leur dégagement, Marina Biron, restauratrice-conservatrice à l’Inrap et Isabelle Ducassou conservatrice-restauratrice indépendante, sont intervenues in principio afin d'apposer sur ces peintures, lorsque cela était nécessaire, une colle de vessie natatoire d’esturgeon. En effet, après plusieurs essais réalisés avec des consolidants acryliques classiquement employés, il est apparu que cette colle naturelle offrait des propriétés adhésives et une réversibilité intéressante, respectueuses des règles déontologiques de la conservation-restauration. Cette action a permis notamment de sauvegarder les peintures d'une scène sur une œnochoé, actuellement en cours d’interprétation.
Vue depuis le nord de la tombe à hypogée de culture étrusque, présentant la chambre funéraire, le couloir et l’escalier menant à celle-ci.
Roland Haurillon, Inrap
L’anthropologue de l’Inrap, Catherine Rigeade, travaille au dégagement de la sépulture de culture étrusque (datée du IVe siècle avant notre ère). Un riche mobilier (œnochoés, skyphoï, etc.) est entreposé autour de la défunte.
Roland Haurillon, Inrap
Vue de la chambre funéraire depuis le couloir. On découvre la défunte et son mobilier d’accompagnement.
Roland Haurillon, Inrap
FOUILLE en laboratoire et Analyse par tomodensitométrie
Après le travail sur le terrain, suivent les travaux en laboratoire et les études, seconde phase des recherches archéologiques préventives. Pour les vases prélevés, intervient la fouille des contenus, puis le nettoyage, la stabilisation et la remise en état pour étude. La fouille des céramiques et des sédiments contenus permet d’éviter la surprise de la découverte inopinée d’éléments restés invisibles lors du prélèvement dans la tombe et qui nécessiteraient une prise en charge urgente par la cellule de conservation préventive.
Les oenochoés et les skyphoi ont ainsi fait l’objet d’une analyse par tomodensitométrie par la société BCRX. Cette technique consistant en un scanner profond par rayon X permet de rendre compte de manière non-intrusive des différents éléments et matériaux qui composent un amas dense, et d’en restituer une image virtuelle en fausses couleurs et en 3D. Myriam le Puil-Texier, anthropologue (Inrap), et Théophane Nicolas, céramologue (Inrap) avaient démontré tout son intérêt pour la fouille et l’analyse des dépôts secondaires de crémation en récipient, à l'occasion de l'étude d'une momie de chat égyptienne, toujours en collaboration avec la société BCRX (Opération « chat alors »). En effet, l’image 3D obtenue est un relevé bien plus précis de l’organisation et de la nature des dépôts à l’intérieur des urnes que celui obtenu habituellement. La technique permet de traiter les objets avec leur emballage de protection mis en place au moment du prélèvement, sans les manipuler directement.
L’intérêt de la méthode est multiple car l’enregistrement en trois dimensions convertible, après traitement, dans divers formats numériques permet d’exporter des images à destination des imprimantes 3D, mais aussi pour des applications de restitution 3D. La réalisation des dessins archéologiques se trouve facilitée par cette technique car elle permet de restituer aisément les coupes orthonormales et sagittales du contenu et de son contenant. Enfin, la technique permet de voir, d’identifier et de comprendre les méthodes de fabrication de certains objets.
Les objets dans l’objet
Vingt-deux objets ont été ainsi analysés par tomodensitométrie nécessitant trois heures de traitement. Les premiers résultats offrent quelques surprises. L’un des grands skyphos contient une coupelle, dont on peut s'interroger sur l’usage dans le rituel funéraire. Au sein d’un groupement de vases qui est interprété comme le contenu d’un panier possiblement en osier ayant disparu avec le temps, une coupelle recèle un petit anneau en bronze, identique à quatre autres découverts à proximité et qui appartiendrait à la structure du panier. Une idée de la forme du panier et de l’emplacement des anneaux est suggérée par un ciste en bronze du Musei Vaticani. Enfin un alabastre contient une tige de métal, certainement une aiguille à parfum, que l’on peut associer aux représentations sur certains miroirs étrusques, des Lases tenant d’une main une aiguille et de l’autre un alabastre.
Les recherches vont prochainement se tourner vers deux miroirs exceptionnels en bronze et à manche d’os. Très abîmés par les siècles, ils pourraient révéler quelque scène de bain ou de déesse.
Reconstitution 3D d'un skyphos
BCRX, Inrap
Analyse tomodensitométrique d'un petit anneau en bronze appartenant sans doute à la structure d'un panier.
BCRX, Inrap
Reconstitution 3D d'un gobelet à forme de tête
BCRX, Inrap
Coupe sagittale d’un gobelet à forme de tête et de son contenu présents dans la chambre funéraire.
BCRX, Inrap
Contrôle scientifique : Service régional de l’archéologie (Drac de Corse)
Recherche archéologique : Inrap
Responsable scientifique : Laurent Vidal, Inrap
Restauration-conservation : Marina Biron, Inrap
Étude tomodensitométrique : BCRX