A Bruchères, Saint-Léger-près-Troyes, Moussey, depuis 2004, des diagnostics archéologiques, prescrits par l'État, ont permis aux archéologues de l'Inrap d'explorer les 250 ha du Parc logistique de l'Aube et d'évaluer son potentiel.

Dernière modification
10 mai 2016

Une cinquantaine d'hectares ont livré des vestiges attestant une forte et continuelle présence humaine durant plusieurs millénaires, de la colonisation néolithique jusqu'à la période carolingienne. L'état de conservation des sites est souvent remarquable. De 2005 à 2008, trois campagnes de fouille ont été menées sur 25 hectares, essentiellement sur la rive gauche du ruisseau qui sépare le Parc en deux, augmentant le nombre de découvertes de sites d'habitat des périodes anciennes. En 2008, c'est une portion d'une nécropole romaine qui a été mise au jour.


Un emplacement fertile et stratégique

De nombreux facteurs environnementaux ont fait du sud de la plaine de Troyes un milieu naturel propice à une installation humaine durable. Parmi les ressources naturelles les plus attractives, on peut mentionner la fertilité des terres limoneuses, la présence d'une nappe phréatique pérenne et proche de la surface et l'existence de paysage de sources et de ruisseaux favorables aux écosystèmes diversifiés, éléments caractéristiques de la Champagne humide. La position géographique du secteur, à la croisée des vallées de la Seine et de l'Armance, couloirs de communication importants, et bordant le sud de la vaste Champagne crayeuse, a pu jouer un rôle dans l'organisation des échanges à moyenne et longue distance au cours des millénaires. Par ailleurs, la proximité avec les ressources en minerai de fer du Pays d'Othe a eu un impact économique évident dès le début du second âge du Fer (de -500 à -30).

L'évolution du paysage

Les données environnementales renseignent sur l'évolution du paysage local depuis la dernière glaciation, et sur les choix agricoles et les modes alimentaires des communautés humaines qui se sont succédé sur le site. Les sols anciens conservés permettent de retracer l'histoire de cette vallée, ainsi que l'évolution des modes d'exploitation des sols et du paysage agraire. Les premiers résultats montrent le passage progressif d'un milieu boisé et fermé, à un environnement défriché par l'homme, dans le fond de vallée et sur les versants, entre le Néolithique et la période gallo-romaine. Des inondations ont alors lieu en raison de l'accumulation de sédiments dans les cours d'eau, résultant de l'intensive mise en culture de ce terroir lors des siècles précédents. La présence, sur les plateaux et certains versants, de limons très fertiles et faciles à travailler explique cette mise en culture massive.

La colonisation humaine de la vallée dès le Néolithique (5000 - 2200 avant notre ère)

Les premiers vestiges d'une activité humaine remontent au début du Néolithique vers -5000. Pour les quatre siècles de la phase pionnière de colonisation, trois habitats ont été localisés. Il s'agit de petites unités agropastorales ne formant pas de véritable village. Leurs sépultures consistent en des tombes à inhumation fléchie. Au cours des millénaires suivants (de -4700 à -2200), l'occupation humaine se signale par des fosses, ultimes témoins de zones d'habitat, et par une dispersion générale des outillages en silex taillé, signe d'une exploitation extensive du terroir. Les vestiges les plus marquants de la fin du Néolithique se rattachent au domaine funéraire : près du ruisseau, un bûcher daté de - 3300 à - 3100 a servi à l'incinération de plusieurs individus. Quelques siècles plus tard, entre 2500 et 2100 avant notre ère, sur l'autre rive, un tumulus cerné par un enclos ovale est édifié. 

Un regroupement de l'activité au second âge du Fer (500 - 30 avant notre ère)

L'une des problématiques liées à cette période a trait à la fondation de la cité troyenne et à la construction du territoire des Tricasses. Bien que César n'en ait pas fait mention dans son récit La guerre des Gaules, cette peuplade vivait dans le sud de l'Aube. Elle était dépendante ou cliente des Sénons, peuple dont le territoire correspondait à une partie de la Bourgogne. Lors du second âge du Fer, l'organisation de l'espace du Parc évolue nettement. Les populations gauloises développent un pôle principal regroupant toutes les activités, sous la forme d'une ferme enclose sur 6 000 m2, dans l'angle sud-ouest du Parc, autour de laquelle gravitent de multiples bâtiments (habitations, forge, etc.). La fouille de 2008 a confirmé la mise en place dès le IIe siècle av. J.-C. d'un premier réseau parcellaire complexe sur plusieurs dizaines hectares. 

Un grand domaine gallo-romain (30 avant notre ère - 476)

L'habitat des Gallo-Romains est identifié à un endroit précis du Parc. Ce domaine possédait certainement la plupart des terres agricoles environnantes et devait en tirer ses principaux revenus. La fouille de 2008 a mis en évidence de longs fossés rectilignes délimitant les champs antiques et leurs chemins d'accès. Deux d'entre eux convergent vers la nécropole du domaine. Le propriétaire s'est fait ériger un mausolée dont les puissantes fondations, larges de 7 mètres, devaient porter une tour haute d'une dizaine de mètres. Jusqu'au IIIe siècle, d'autres défunts ont souhaité se faire inhumer ou incinérer à proximité, en aménageant eux aussi des monuments. Les fossés qui les délimitaient ont livré trois sépultures de nourrissons dont le corps est simplement déposé dans une amphore retaillée en cercueil. 

Un déplacement de l'habitat au Moyen Âge (Ve-XVe siècle)

Au cours du démembrement de l'Empire romain, une petite population continue à faire vivre l'exploitation créée durant l'Antiquité. Son habitat, non encore fouillé, est déplacé et prend une forme qui mélange traditions gallo-romaines et germaniques. Aux environs du VIIe siècle, les exploitants quittent la zone du Parc logistique pour s'installer en bordure, peut-être à l'emplacement de l'actuel hameau d'Herbigny, à Saint-Léger-près-Troyes. Seule une de leur nécropole, fouillée en 2006, contenant six adultes et deux jeunes, reste sur place. Une nécropole carolingienne (VIIe au Xe siècle) plus vaste est également connue sur l'autre versant de la vallée, à Buchères. Située à quelques dizaines de mètres à l'extérieur du Parc logistique, elle confirme qu'à partir de cette période, les habitants vont peu à peu donner naissance aux villages actuels, en n'utilisant les terres du Parc qu'à des fins agropastorales. 

L'apport de l'archéologie

L'emprise importante du Parc logistique de l'Aube permet, pour la première fois dans le département, d'accéder aux « archives du sol » sur une vaste surface, favorisant ainsi l'étude de l'occupation d'un territoire sur de très longues périodes chronologiques. Saisir l'évolution de l'organisation de l'espace au cours des sociétés qui se sont succédé revient à découvrir les multiples formes spatiales, économiques et sociales de l'habitat dispersé et les rythmes d'apparition et de recul de l'habitat groupé. Ces questions rejoignent celles sur les réseaux d'échange et de communication, économiques ou culturels, entre ces communautés rurales. L'archéologie et la géographie humaine ancienne contribuent ainsi à comprendre les origines complexes et l'évolution de la culture européenne.