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Retour sur une découverte mégalithique hors norme à Chamigny (Seine-et-Marne)
En 2017, à Chamigny, l'Inrap avait mis au jour trois importants blocs de pierre conservés dans des limons. Depuis, un enregistrement photographique en lumière rasante a révélé des premiers motifs sur la face du bloc principal qui reposait au sol, avant qu'un nettoyage exhaustif ne dévoile l’intégralité du décor anthropomorphe gravé, apparentant ce mégalithe aux « statues-menhirs » néolithiques, une rareté en Île-de-France.
Préalablement à la construction d’un lotissement, une fouille a été conduite au lieu-dit « La Grande Maison » dans la commune de Chamigny, en limite du département de l’Aisne. Elle s’est développée sur une surface de 1,5 ha divisée en deux parcelles, de part et d’autre d’un chemin creux bordé par un rû.
Situé en périphérie immédiate du village, sur la basse terrasse de la vallée de la Marne, le terrain est fortement marqué par la présence d’un ancien talweg (ligne de fond de vallée et de collecte des eaux) sur sa bordure ouest, le long de la rue de la Marne. Cette topographie a eu pour effet une excellente préservation des vestiges en partie ouest, mais un arasement notable au nord-est, expliquant sans doute la présence isolée d’une large fosse attribuable au Néolithique ancien.
Une sépulture du Néolithique récent
Une sépulture collective aménagée durant le Néolithique récent supporte une seconde occupation funéraire du Néolithique final, après l’installation d’un « sol » de dalles calcaires séparant les deux niveaux. Si l'architecture d'origine demeure incertaine en raison des nombreuses perturbations postérieures, la présence de rigoles périphériques et celle de larges fosses grignotant le pourtour de l’ensemble funéraire suggèrent une mise en œuvre mixte, associant parois boisées et orthostates (pierres levées). Les creusements semblent en effet liés à un épierrement lors de la mise en culture moderne de la parcelle.
Fouille de la sépulture collective.
Inrap
La stèle anthropomorphe de La Grande Maison
A 80m à l’ouest, en limite du talweg formé par le passage du rû de la Marne, un ensemble de trois pierres, volontairement débitées et décorées, couchées bien avant l’occupation médiévale du site, a été retrouvé dans les niveaux de limons. Le plus grand des blocs est de format subrectangulaire, le second est un volume résiduel subtriangulaire et le troisième présente une forme subrectangulaire. Si le premier bloc présente sur une de ses faces un riche décor l’apparentant à une stèle anthropomorphe, le troisième bloc laisse deviner un motif de rainures épicentriques. Lors de leur dégagement sur le terrain, aucun creusement n’a été observé. L'analyse géologique, technologique et iconographique a permis d’appréhender des étapes de mises-en-forme successives, de décorations variées et de transport/abattage.
Menhir sous eau.
Inrap
Vue des trois blocs en cours de fouille, dont la stèle face décorée contre le sol.
Sébastien Poignant, Inrap
Vue des trois blocs en cours de fouille, dont la stèle face décorée contre le sol.
Sébastien Poignant, Inrap
Vue zénithale des trois blocs en cours de fouille, dont la stèle face décorée contre le sol.
Sébastien Poignant, Inrap
Enregistrement photographique sous des éclairages artificiels différents (RTI : Reflectance Transformation Imaging) par Jules Masson Mourey.
Rosalie Jallot, Inrap
Relevé au calque par Rosalie Jallot.
Jules Masson Mourey
L’imposant bloc se caractérise par des boursouflures naturelles qui ont dû constituer un critère de sélection pour les néolithiques. Il présente une différence de surface (face 3) qui indique une limite d’enfouissement. À environ un mètre de la base, trois lignes piquetées irrégulières parcourant la face sur toute sa largeur représentent une ceinture sans boucle. Un motif concave et oblong, en « U » très allongé, agrémenté d’une cupule piquetée, s’observe sous la ceinture. Difficilement identifiable et comme suspendu à la ceinture, ce motif pourrait s’apparenter à un poignard dans son fourreau, à un étui pénien ou à un cache-sexe semblable à certains exemples répertoriés dans la littérature ethnographique. Plus haut, une bande « crantée » peu épaisse n'a pas encore trouvé d'interprétation. Dans le tiers supérieur de la face, sur le bord droit, se développent aussi deux motifs triangulaires ouverts, tête-bêche et aménagés en champlevé sur une zone subquadrangulaire bouchardée (piquetée et martelée) au préalable. Il s’agit semble-t-il de deux poignards à lames triangulaires ou de deux lames de haches polies. Enfin, le sommet présente quelques cupules dans sa partie droite.
Relevé de la stèle.
Rosalie Jallot, Inrap
Tous ces éléments décoratifs aux positions suggestives invitent à considérer le monolithe comme une représentation humaine vêtue et armée, dont il ne resterait peut-être que la trame de fond gravée et sculptée. Pour l’heure, la proximité directe avec une sépulture collective de la fin du Néolithique, la nature même de la stèle anthropomorphe et l’identification potentielle de la composition gravée nous orientent vers une date comprise entre la deuxième moitié du IVe millénaire et la première moitié du IIIe millénaire avant notre ère.
Photographie de la stèle et détails de motifs.
Jules Masson Mourey
Une découverte rare en région francilienne
Si le choix de dalles naturellement boursouflées se retrouve dans les architectures de la fin du Néolithique dans le Bassin Parisien occidental, l’iconographie de la stèle anthropomorphe de La Grande Maison trouve ses meilleures comparaisons avec celle de Beautheil (Seine-et-Marne) ou à plus de 500 km au sud, en Aveyron et dans le Tarn, voire en Allemagne, en Suisse et sur la façade Atlantique. Un constat qui est à même de réalimenter le débat autour des liens qu’entretiennent manifestement les groupes culturels du Bassin Parisien du Néolithique final (anciennement rassemblés sous l’appellation Seine-Oise-Marne) avec leurs contemporains de l’Europe de l’ouest continentale. Quoiqu'il en soit, la stèle de La Grande Maison introduit un élément majeur pour la compréhension du monde symbolique et des interactions transterritoriales de la région francilienne aux IVe et IIIe millénaires avant notre ère.
Les trois mégalithes doivent prochainement être déplacés au musée départemental de Préhistoire d'Île-de-France à Nemours, à des fins de conservation et de valorisation. Par ailleurs, un programme d’expérimentation archéologique sera mené durant l’année 2020 afin d’identifier les différents outils utilisés de l’extraction, de mise en forme et de décoration.
Activité potière pendant le Haut Moyen Âge
La parcelle connaît ensuite un long abandon, puisque les traces d’une activité humaine ne réapparaissent qu’à l’aube du VIIe siècle. À cette période, deux chemins parallèles semblent desservir le site : le premier constitue les prémices de la rue de La Marne, à l’ouest, tandis que le second traverse le décapage à 150 m vers l’est. Dès cette période, le site est animé par la production de céramique, illustrée par la présence de deux fours distants d’une cinquantaine de mètres (le diagnostic avait également révélé la présence de rebuts de production mérovingiens au nord-est, hors de la zone de fouille, le long du second chemin).
L’activité potière se poursuit sur le site jusqu’au début du Xe siècle au moins ; elle est illustrée par la présence de trois nouveaux fours, formant un véritable pôle artisanal pérenne en dessous et autour du chemin de la Grande Maison, qui s’avère très récent (tout comme le tracé du rû qui le borde). Les nombreux rebuts de céramique permettent de dresser un profil assez riche de cette production. Parallèlement à l’activité potière, on note des traces ténues de métallurgie des alliages cuivreux (creusets) et peut-être d’un artisanat verrier complémentaire.
Vue générale d'un four de potier (Xe siècle) en cours de fouille.
C. Seng, Inrap
Au tournant des XIe–XIIe siècle, l’habitat se contracte le long de la rue de la Marne, ne formant plus qu’un ilot unique sans doute matérialisé de manière ultime par la présence d’un bâtiment à fondation de pierres et de quelques fonds de cabane en arrière-cours. Si l’artisanat n’est plus réellement attesté dans ces contextes, quelques éléments mobiliers ainsi que le profil de l’alimentation carnée semblent trahir un habitat privilégié (peut-être dès l’époque carolingienne), à mi-chemin entre l’église Saint-Etienne et la ferme Godefroy, toutes deux attestées par les textes au moment de l’abandon définitif de l’habitat sur l’emprise de fouille.
Applique de baudrier d’épée carolingienne.
J. Soulat, Laboratoire Landarc
Pour aller plus loin :
JALLOT R., MASSON MOUREY J. 2019, Découverte d’une grande stèle anthropomorphe gravée en Île-de-France orientale (La Grande Maison, Chamigny, Seine-et-Marne), Bulletin de la Société préhistorique française, t. 116, n°4, p. 777-780.
MASSON MOUREY J., JALLOT R. 2020, Seine-et-Marne : une exceptionnelle stèle anthropomorphe, Archéologia, n°584, p. 12.
Contrôle scientifique : Service régional de l’archéologie (Drac Île-de-France)
Recherche archéologique : Inrap
Responsable scientifique : Nadine Mahé-Hourlier (Inrap)
Responsable de secteur : Laure Pecqueur (Inrap)
Étude des mégalithes : Rosalie Jallot (Inrap), Jules Masson Mourey (doctorant, Aix-Marseille Univ.)