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Tramway, rue Charles-Gille
À Tours, Indre-et-Loire, la fouille a été réalisée sur toute la longueur de la rue mais sur une largeur de 2,20 m uniquement. Cette opération offrait l'opportunité exceptionnelle d'un transect est-ouest dans un secteur assez méconnu au sud de l'agglomération tourangelle.
Les fouilles ont révélé la présence d'une occupation antique dont la nature n'était pas attendue mais aussi et surtout la présence d'un espace funéraire médiéval inconnu avec une fonction originale. L'intervention a donc permis de mieux comprendre les marges sud de la ville durant l'Antiquité et le Moyen Âge.
Contexte actuel
La rue Charles Gille, située immédiatement à l'ouest de l'actuelle gare de Tours, adopte un tracé est-ouest sur 250 m. Le quartier dans lequel elle s'inscrit correspond à l'actuel centre ville de l'agglomération et se trouve fortement urbanisé. Toutefois, jusqu'au XVIIIe siècle cette partie de la ville de Tours se rapporte à un espace rural occupé par quelques fermes et traversé par un chemin (ancienne voie antique) qui sort de Tours pour aller à Saint-Avertin. Une léproserie (Saint-Lazare), située à environ 250 m au sud de la rue Charles-Gille, est implantée depuis le début du XIIe siècle le long de cet axe de circulation et correspond au seul aménagement connu au sud de la ville médiévale.
Connaissances historiques et archéologiques
Ce secteur de l'agglomération tourangelle a fait l'objet de peu d'attentions archéologiques jusqu'à présent. Toutefois, lors de la construction de la gare à la fin du XIXe siècle, plusieurs découvertes d'urnes funéraires antiques furent réalisées et permirent de supposer la présence d'une nécropole gallo-romaine dans ce secteur. Cependant, sa localisation restait très incertaine, certains érudits la plaçant sous l'actuelle gare de Tours et la considérant donc comme détruite lors de la construction de cette dernière. Les rares interventions archéologiques récentes concernaient le parvis de la gare (1990) où un bastion de la fortification XVIIe siècle fut reconnu mais les vestiges funéraires étaient quasi-inexistants (une inhumation en place et un vase mis au jour dans les déblais). Toutefois, la présence d'une importante couche de cendres contenant des tessons de céramique et des ossements humains et de faune brûlés suggérèrent la présence d'une aire de crémation proche.
L'autre intervention importante fut liée en 1992 à la construction d'une maison de retraite à l'emplacement précis de l'ancienne léproserie dont la chapelle était encore en élévation. La fouille de l'intérieur de l'édifice permit de mettre au jour 57 sépultures parmi lesquelles 20 défunts présentaient des lésions attribuables à la lèpre.
L'opération a permis de confirmer la présence d'une occupation antique mais celle-ci ne s'est pas révélée funéraire comme pouvait le suggérer les nombreux indices mis au jour depuis le XIXe siècle. En effet, aucune structure de ce type n'a été identifiée pour cette période. En revanche, plusieurs maçonneries gallo-romaines (récupérées ou non) ont été reconnues. Si l'interprétation est probablement celle d'un ou de plusieurs bâtiments, il est difficile de se prononcer sur leur fonction précise.
Cette découverte pose la question des marges sud de la cité antique et amène à s'interroger sur le statut de ce secteur de la ville (rural, urbain ou péri-urbain ?). Les investigations menées rue Charles-Gille permettent a priori d'exclure le phénomène urbain en raison de la faible densité de l'occupation mais aussi grâce aux observations sur un autre tronçon du tramway (Place Jean-Jaurès à 200 m au nord-ouest) qui semblent avoir mis au jour l'extension maximale de la ville du Haut-Empire.
Une sépulture multiple datant du Moyen Âge
La surprise la plus importante est venue de la découverte d'ossements humains médiévaux. Les squelettes mis au jour sont au nombre de 34 et sont concentrés sur une superficie n'excédant pas 10 m². L'étude a révélé qu'il existait au minimum six phases d'inhumations distinctes. Les corps, tous allongés sur le dos, ont été déposés avec le crâne à l'ouest et les pieds vers l'est, comme ce qui se pratique habituellement dans les autres cimetières de la ville. L'anomalie pour ces défunts, outre le choix du lieu d'inhumation déconnecté d'un lieu de culte, résidait principalement dans la présence de dépôts de corps simultanés au sein d'une même fosse, pratique que les archéologues et anthropologues désigne sous le terme de « sépulture multiple ». Ce geste n'est pas anodin car il est en général observé dans le contexte très particulier des crises de mortalité qui peuvent avoir plusieurs origines (accident, catastrophe naturelle, violences inter-humaines ou épidémie). L'absence de lésions traumatiques a permis de rejeter l'hypothèse des violences, de même que l'accident et la catastrophe naturelle pour lesquels aucun argument ne pouvait être retenu. Par conséquent, un contexte de crise épidémique reste le plus plausible.
Des datations radiocarbones parmi les individus les plus récents ont permis de confirmer que les derniers décès étaient intervenus durant le XIVe siècle ou au tout début du siècle suivant.
Un cimetière dévolu aux victimes d'épidémies ?
L'interprétation proposée pour ces individus est donc celle d'un cimetière dévolu aux victimes tourangelles d'épidémies ou de toutes personnes suspectées de contagion. En effet, les décès semblent intervenir au sein d'un horizon chronologique difficile qui comprend des famines suivies d'épidémies ainsi que la peste noire et ses rechutes. Ces évènements seraient à l'origine d'une réduction par moitié de la population de Tours entre 1320 et 1420. Durant les contextes épidémiques, il était d'usage d'expulser les malades ou les proches survivants d'un pestiféré décédé. Des textes en ce sens, mais plus tardifs, sont conservés aux Archives municipales. Une fois expulsées de la ville, ces personnes pouvaient trouver refuge dans des structures d'assistance aux malades en périphérie de l'agglomération. Toutefois, il est probable que ces asiles n'aient offert que peu de soins et consistaient plus probablement uniquement à un isolement dans le seul but d'éviter la contamination.
Un secteur dédié aux structures d'assistance
Ce secteur sud de la ville de Tours correspond donc très certainement au premier lieu d'accueil des malades contagieux et la présence de la léproserie Saint-Lazare semble le confirmer. Le regroupement de ces individus infectés pouvait se faire soit au sein même des établissements pour lépreux (comme ce fut le cas provisoirement à Orléans en 1414 puis à nouveau en 1430) ou dans des structures temporaires, ou encore dans des bâtiments construits spécialement pour l'occasion, comme la maison qui est érigée proche de Saint-Lazare à Tours pour accueillir les malades d'une épidémie de grosse vérole (syphilis) en 1496-1497.
Ce rapprochement entre léproseries et hôpitaux pour pestiférés est bien illustré archéologiquement dans d'autres villes (Beauvais par exemple).
Les victimes de ces épidémies, décédées dans ces structures d'accueil n'étaient pas inhumées dans les cimetières urbains mais dans un espace funéraire propre, comme en témoigne le texte de 1497-1498 évoquant la bénédiction et la consécration d'un terrain pour une utilisation en cimetière à l'usage des malades de la syphilis n'ayant pas survécu.
Ce secteur de la ville de Tours regroupe donc durant le second Moyen Âge, les structures d'isolement et/ou d'assistance envers les malades contagieux ainsi que leur cimetière respectif (lépreux, pestiférés, syphilitiques ...).