À Procojo (commune de Lucciana), à quelques kilomètres de la colonie romaine de Mariana, l'Inrap a mis au jour un établissement rural des IIe - IIIe siècles de notre ère équipé d’un moulin à eau, le premier découvert en Corse pour l’Antiquité.

Chronique de site
Dernière modification
11 juillet 2022

Préalablement à la construction d’un habitat résidentiel sur la commune de Lucciana au lieu-dit Procojo (Haute-Corse), la prescription d’une fouille archéologique par les services de l’État (DRAC de Corse) réalisée par l’Inrap a permis de mettre au jour un établissement rural des IIe - IIIe siècles de notre ère équipé d’un moulin hydraulique. Ces recherches, prises en charge à 100% par l’État par le biais du fonds national pour l’archéologie préventive (Fnap), précisent la nature des occupations rurales dans le proche territoire de la colonie romaine de Mariana. Elles renouvellent nos connaissances propres à l’histoire des techniques durant l’Antiquité et posent la question de l’identité culturelle des habitants de la ferme de Procojo. 

Une ferme viticole du territoire de la colonie romaine de Mariana

Le site de Procojo se situe à 4,5 kilomètres seulement de la colonie romaine de Mariana, connue notamment par les sources antiques (Tite Live, Sénèque, Solin, etc.). L’habitat découvert, aux sols préservés, présente un état de conservation très satisfaisant qui permet de caractériser la fonction de ses pièces.

La pièce nord était consacrée à la production viticole. En témoigne la découverte de six fosses destinées au stockage des dolia, deux d’entre elles contenant encore le fond de ces jarres estampillées du nom d’une officine italienne. Une cuve de recueil revêtue d’un mortier de tuileau complète le dispositif, ainsi qu’une base carrée pouvant correspondre au reste d’un pressoir à vis.

La pièce sud occupe quant à elle une position singulière en bordure du bras d’un ancien cours d’eau. Elle contient quelques aménagements qui révèlent l’existence d’un espace dédié à la vie quotidienne dont les vestiges d’un petit four excavé de type tannur pour la cuisson des galettes, ainsi qu’un fond de jarre en remploi dont la fosse d’encastrement rubéfiée suggère également une fonction culinaire. Quelques fragments de probables fours à cloche mobile dans le niveau d’abandon de la pièce ont de plus été retrouvés. La présence de ces équipements culinaires interroge pour la période considérée. En effet, ces équipements ne sont généralement plus attestés une fois dans l’aire d’influence latine (péninsule italique, Narbonnaise) et semblent en revanche encore en usage en Afrique du Nord et peut-être en Sardaigne au cours de la période impériale.


Un probable moulin double

La partie orientale de la pièce sud interprétée comme un espace de cuisine est délimitée par une structure hydraulique de plan rectangulaire qui s’établit précisément dans l’angle que forme l’ancien cours d’eau. Le chenal a été réaménagé de façon à former un angle pratiquement droit sur lequel semblent s’appuyer les murs limitrophes de la ferme.

Orthophotographie des vestiges mis au jour par les archéologues de l'Inrap sur le site de Lucciana-Procojo.

Orthophotographie des vestiges mis au jour par les archéologues de l'Inrap sur le site de Lucciana-Procojo. 

©

Nicolas Bourgarel, Inrap


La structure hydraulique se caractérise par deux chambres globalement circulaires qui fonctionnent chacune avec une chute d’eau oblique et un canal de fuite. Plusieurs meules en leucitite de la meulière d’Orvieto en Étrurie ont été retrouvées dans le comblement d’abandon de la structure. Ces vestiges sont interprétés comme ceux d'un moulin hydraulique à double roues horizontales déterminant deux unités de mouture. Il s’agirait ainsi du premier moulin à eau découvert en Corse pour l’Antiquité. En l’état des connaissances, il appartient à un modèle de moulin double qui ne trouve pas d’équivalent pour la période considérée en Méditerranée Nord-occidentale. L’étude documentaire à venir devra permettre de déterminer si ce modèle peut illustrer une technologie issue du bassin oriental de la Méditerranée ou de l’Afrique du Nord. Notons à ce propos qu’un moulin du même type a récemment été reconnu pour l’époque omeyyade en Syrie (VIIIe siècle). D’autre part, le moulin hydraulique de Procojo, par sa taille réduite et son lieu de découverte (une ferme modeste), constitue à ce jour un unicum – un cas unique – dans le monde romain, où ce type d’installation se retrouve au sein des villae ou des agglomérations. Dans ces contextes, le moulin est interprété comme un investissement financier lié à une recherche de productivité, qui s’explique difficilement dans le cas du moulin de Procojo, ce qui soulève des questions nouvelles en termes d’histoire des techniques.

Aménagement : Madame Micaelli
Contrôle scientifique : Service régional de l’archéologie (Drac de Corse)
Recherche archéologique : Inrap
Responsable scientifique : Samuel Longepierre, Inrap