Vous êtes ici
La Poissonnerie et le cirque-théâtre refont surface à Angers
À Angers, l'Inrap a mis au jour les vestiges de la halle aux poissons et du cirque-théâtre. Ces deux édifices constituaient deux éléments majeurs de la vie culturelle et commerciale d’un quartier populaire oublié qui, jusque dans les années 1980, s’étendait sur la rive gauche de la Maine.
En lien avec la construction de la deuxième ligne de tramway, l’aménagement de la place Molière à Angers a permis de fouiller une superficie de 1600 m2 dans un secteur gagné sur la Maine au début du XIXe siècle. Sur d’épais remblais, ont été mis au jour des vestiges de la Poissonnerie (halle aux poissons, 1831-1866) et d’un cirque-théâtre (1866-1962).
Les fondations de la halle aux Poissons (1831-1866) et des monnaies
Dans ce secteur gagné sur la Maine au début du XIXe siècle, l’épaisseur du remblaiement est telle que les vestiges du pont des Treilles (XIIe siècle), retrouvés lors du diagnostic archéologique en 2016, sont enfouis à près de deux mètres sous le sol de la place. Ils demeureront hors de portée des futurs aménagements, et donc de l’opération de fouille, limitée à un mètre.
C’est sur ces remblais qu’a été édifiée la Poissonnerie en 1831. Décidée par la Ville, la construction en a été confiée à l’architecte Ferdinand Lachèse et l’exploitation concédée à un groupement de commerçants. Cette halle spécialisée est un bâtiment rectangulaire à arcades, de 12 m de large par 30 m de long au moins. Il repose sur des fondations solides de deux mètres de large mises au jour lors de la fouille. Quatre caniveaux parallèles servaient au drainage et au nettoyage de la Poissonnerie. Ce sont les seuls vestiges témoignant de l’occupation des lieux.
Décapage mécanique et dégagement manuel des vestiges. A l’arrière-plan, les arbres qui bordent la Maine.
Martin Pithon, Inrap.
Poissonnerie, entreprise par souscription en 1831, d'après les dessins et sous la conduite du jeune Lachèse, architecte (1831). Par A.[Adolphe] Gouin, d'après F. L. [Ferdinand Lachèse]. Dessin - Encre et plume - NB - 25 x 32,5 cm (feuille), 16,5 x 25 cm (dessin) – 1890
Archives départementales de Maine-et-Loire, 1 Fi 1839
Dans l’un de ces caniveaux, les archéologues ont retrouvé, parmi des coquilles de moules et d’huîtres, plus de trente monnaies sans doute perdues par les usagers. La Poissonnerie a fonctionné pendant la Monarchie de Juillet (1830-1848), la Deuxième République (1848-1852) et le Second Empire (1852-1870), mais la plupart de ces monnaies se rapportent plutôt à la dernière période de fréquentation. Les plus identifiables (avant nettoyage) sont en effet à l’effigie de Napoléon III. La destruction de la Poissonnerie en 1866 pose question dans la mesure où ce bâtiment considérable, équipé d’une fontaine externe puis interne, n’aura duré que 35 ans. S’agit-il d’une faillite commerciale ou bien d’un problème de localisation dans un secteur qui, malgré les remblaiements, restait inondable ?
En 1866, place au cirque-théâtre !
Quelle que soit la raison de la disparition de la Poissonnerie, la Ville trouve très vite à la remplacer par un autre grand édifice public. En 1865, un incendie ravage le théâtre municipal (place du Ralliement) et la ville se retrouve sans salle de spectacle. La construction d’un théâtre à l’emplacement de la Poissonnerie est donc décidée et confiée à l’architecte tourangeau Henri Racine. L’édifice est achevé en 1866 et occupe la quasi-totalité de l’espace connu aujourd’hui sous le nom de place Molière. Il s’agit d’un cirque-théâtre organisé autour d’une piste circulaire de 13 m de diamètre et transformable en théâtre avec une scène frontale (à l’italienne).
Elévation de l’entrée du cirque-théâtre, par H. Racine, architecte, 1866.
Archives municipales d’Angers
Coupe longitudinale du cirque-théâtre, par J. Rohard, 1900.
Archives municipales d’Angers
Plan au sol du cirque-théâtre par H. Racine, architecte (1866).
Archives municipales d’Angers
Selon la configuration, il pouvait accueillir entre 1600 et 2000 spectateurs. Cette forme de chapiteau « en dur », qui succède à des cirques en bois, semble très en vogue à partir du Second Empire et jusqu’à l’aube du XXe siècle, puisqu’une trentaine d’édifices du même genre sont érigés sur l’ensemble du territoire national. L’un des premiers, et le plus connu, est le cirque d’Hiver à Paris (1856), un autre, également bien conservé, est le cirque municipal d'Amiens (devenu cirque « Jules Verne »). Celui d’Angers, également désigné « Théâtre national », associe une structure métallique et des murs de briques peintes formant un décor de losanges. Transformés en salles de cinéma, puis en gymnases et en salles de boxes, la plupart de ces cirques en dur ont été détruits dans les années 1960.
Vue aérienne (drone) du site en cours de nettoyage. Les traces rectilignes correspondent aux fondations et aux caniveaux de la Poissonnerie (1831-1866), les courbes à celles du cirque-théâtre (1866-1982).
Nicolas Samson, R-Vision.
Dégagement manuel des vestiges du cirque-théâtre (1866) recoupé par les réseaux urbains actuels.
Martin Pithon, Inrap.
Carte postale : cirque-Théâtre d’Angers, place Molière.
Archives départementales de Maine-et-Loire, 6 Fi 542
Du cirque-théâtre de la place Molière, démoli en 1962, les archéologues ont dégagé des fondations bien conservées, dont le plan coïncide avec les documents d’architectes conservées dans les archives. Les briques retrouvées portent la marque de la fabrique Moussard-Guillet, à Monnaie (Indre-et-Loire). Ont également été relevées plusieurs modifications dans la construction, ainsi que des ouvrages annexes qui ne figurent sur aucun plan. C’est le cas de ce réseau radial de canalisations d’eau pluviale convergents vers un collecteur situé sous la piste et redirigés vers la Maine.
Les fouilles préventives auront ainsi fait ressurgir deux édifices majeurs de la vie culturelle et commerciale d’un quartier populaire oublié qui, jusque dans les années 1980, s’étendait sur la rive gauche de la Maine.
Contrôle scientifique : Service régional de l’archéologie (Drac Pays de la Loire)
Recherche archéologique : Inrap
Responsable scientifique : Martin Pithon, Inrap