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Sur les traces de la reine Bérengère à l'abbaye Royale de l’Épau (Sarthe)
Fondée par la reine Bérengère de Navarre, veuve de Richard Cœur de Lion, l’Abbaye Royale de l’Épau, fait l’objet d'une publication aux Éditions 303 : Abbaye Royale de l’Épau - Huit siècles d’histoire. C'est l'occasion de revenir sur l'opération archéologique menée en 2019 par Jean-Yves Langlois (Inrap), co-auteur de l'ouvrage, sur l'église abbatiale et les traces de la sépulture de la reine Bérengère.
L'Abbaye Royale de l’Épau - Huit siècles d’histoire aux Éditions 303
L’Abbaye Royale de l’Épau, abbaye cistercienne du XIIIe siècle, a accueilli des moines jusqu’à la Révolution française. Devenue propriété privée et transformée en ferme, elle est rachetée par le Département de la Sarthe en 1959. Celui-ci entame de nombreuses campagnes de restaurations qui permettent de sauver le site. Son histoire, surtout relatée par des érudits du XIXe siècle ou par des historiens locaux, restait mal connue. Ces dernières années, l’abbaye a fait l’objet de nombreuses recherches scientifiques, notamment en histoire, en histoire de l’art et en archéologie. Le présent ouvrage apporte aujourd’hui un éclairage nouveau sur cet édifice remarquable.
Un diagnostic archéologique à l’abbaye de l’Épau
À l’automne 2019, les archéologues de l’Inrap ont réalisé un diagnostic archéologique de 28 000 m2 à l’Abbaye Royale de l’Épau en amont de futurs travaux d’aménagement : création d’un espace paysager, restauration du bâtiment médiéval dit de la bergerie et déplacement du gisant de la reine Bérengère dans l’église. L’abbaye de la Pitié Dieu (Pietate Dei en latin) est connue sous le nom d’abbaye de l’Épau, terre sur laquelle elle aurait été bâtie entre les années 1220 et 1230. L’acte de fondation de ce monastère masculin cistercien érigé par la reine Bérengère - veuve du roi d’Angleterre Richard Coeur de Lion - date de 1229, un an avant le décès de sa fondatrice.
Monument funéraire de la reine Bérengère remonté dans le chœur de l’abbatiale.
© Sarthe Culture
Mis à part deux sondages, effectués en 1990 et 1991 dans l’ancien chauffoir et dans les cuisines du cloître, et une surveillance de travaux en 2014 lors de l’installation d’un ascenseur, il faut remonter aux années 1950 et 1960 pour trouver des mentions de découvertes archéologiques et quelques rares articles qui concernent principalement les bâtiments conventuels. Le diagnostic de 2019 a été précédé d’une étude documentaire, complémentaire de l’intervention archéologique. Puis, les sondages réalisés dans la prairie nord, dans les jardins, au niveau de la « bergerie » et dans l’église abbatiale ont fourni de nombreuses informations archéologiques inédites sur la partie centrale du domaine de l’abbaye.
Les résultats du diagnostic
Lors du diagnostic, des structures jusque-là inconnues ont été mises au jour : fondations de murs, système d’alimentation en eau sous pression, canalisation d’évacuation d’eau, four artisanal, fossés structurant les abords du carré claustral avant le XVIIIe siècle, restes du jardin XVIIIe siècle, etc. En revanche, aucune sépulture n’a été retrouvée au pied du chevet de l’église, traditionnel lieu d’inhumation. Le cimetière se trouverait-il ailleurs ? Dans l’hypothèse de l’emplacement primitif de la tombe de la fondatrice la reine Bérengère, ou du moins de son gisant, dans le chœur architectural, un sondage a été pratiqué dans l’abbatiale qui n’a pas permis de retrouver les traces de la sépulture primitive...
Diagnostic archéologique dans l’abbatiale en 2019.
© Inrap
Mystère autour de la sépulture royale
En 2020, le transfert du gisant de la salle du chapitre vers le chœur de l’église a occasionné une nouvelle intervention des archéologues de l’Inrap : étude technique du gisant et de son socle, analyse d’un coffre en plomb conservé à l’intérieur et examen d’une tombe de la salle du chapitre, située sous le gisant et déjà fouillée en 1960.
En tant que fondatrice, la reine Bérengère a été inhumée à l’abbaye de l’Épau, mais l’emplacement initial de sa sépulture reste inconnu. À sa mort, en 1230 – un an seulement après l’acte de fondation – la construction de l’église était-elle suffisamment avancée pour pouvoir accueillir sa dépouille ?
Gisant de la reine Bérengère dans la salle du chapitre, avant son transfert. Il est présenté sur un socle bas, d’Époque contemporaine.
© Sandrine Lalain, Inrap
Seule certitude, le tombeau royal est transféré dans le chœur de l’abbatiale en 1672 car son emplacement précédent n’était pas jugé digne d’une reine. Le contenu du tombeau n’est précisé qu’en 1816-1817, par l’antiquaire anglais Charles Alfred Stothard qui rassemble des tissus et des ossements attribués à la reine Bérengère. Il décrit trois fémurs et un tibia… ce qui implique les restes d’au moins deux personnes, au plus quatre ! À partir de cette date, le gisant, les restes osseux et les tissus vont être déplacés à maintes reprises, à la fois dans la cathédrale du Mans, puis à partir des années 1970 dans l’abbaye de l’Épau.
Ardoise retrouvée en 1817 associée à un coffre en bois contenant les ossements et placé à l’intérieur du tombeau.
© Bénédicte Fillon-Braguet
En 1960, une découverte fortuite relance l’affaire : une tombe maçonnée est mise au jour dans la salle du chapitre, plutôt réservé aux défunts masculins. Elle abrite un squelette féminin dont le crâne porte une large blessure en forme d’étoile. Trois tâches d’oxyde de cuivre, interprétées comme la marque d’une couronne, sont visibles sur le pourtour du crâne. L’âge de la défunte – entre 60 et 65 ans – correspond à celui mentionné par les historiens. L’archéologue manceau Pierre Térouanne conclut que ces restes sont ceux de Bérengère. La reine aurait été inhumée dans le chapitre dont la construction aurait été achevée avant celle de l’église. C’est en référence à ce scénario que le gisant rejoint le chapitre en 1988.
Démontage du squelette en 1963 avant transfert dans un laboratoire d’anthropologie à Caen.
© Archives dép. 72, 18J566
En 2019, nouveau coup de théâtre : une étude architecturale menée par une historienne de l’art remet en question la datation de l’église, qui remonterait à 1225 environ, soit quelques années avant l’acte de fondation de l’abbatiale. Dès lors, l’hypothèse d’une sépulture initiale dans l’église revient au premier plan. Mais où ? Et dans ce cas, le squelette féminin trouvé en 1960 ne serait pas celui de la Reine. Les restes royaux se trouveraient-ils donc plutôt dans le lot d’ossements décrits par Stothard au XIXe siècle ?
Les archéologues sur les traces de Bérengère
À l’occasion du transfert du gisant en 2020, les archéologues ont pu de nouveau étudier les restes de la tombe trouvée en 1960 dans la salle du chapitre et attribuée, par Pierre Térouanne, à la reine Bérengère. Ils ont confirmé que l’ensemble de la structure avait été fouillée consciencieusement et ont pu faire quelques observations complémentaires. Ils ont aussi procédé à un examen minutieux du gisant et du socle ancien, daté du XIIIe siècle, longtemps remisé dans la « bergerie ». Il est apparu que les deux petits côtés du socle proviennent très vraisemblablement de l’un des grands côtés, qui a été débité pour compléter l’installation du gisant en 1821 dans la cathédrale du Mans. Ainsi ce monument initialement isolé et visible sur ses quatre côtés s’est retrouvé adossé à un mur.
Vue générale de la cuve maçonnée dans laquelle se trouvait le squelette mis au jour en 1960 et interprété comme celui de la reine Bérengère.
© Jean-Yves Langlois, Inrap
L’opération de 2020 a surtout permis aux archéologues d’accéder au contenu du socle en pierre, d’Époque contemporaine, supportant le gisant dans la salle du chapitre ! Une fois la dalle soulevée, ils ont aussitôt reconnu un coffre en plomb, long de 1,10 m, large de 40 cm et haut de 23 cm, déposé en 1988 lors de l’installation du gisant dans le chapitre. À l’intérieur se trouvait une boîte en bois révélant un riche contenu : un sac en plastique renfermant des os humains, des fragments de tissus ainsi qu’un mélange de terre et de restes végétaux ; une enveloppe au logo du conseil général ; et au fond de la boîte, un squelette humain complet, de sexe féminin, protégé par un drap. La reine Bérengère figure-t-elle parmi ces restes ?
Découverte d’un coffre en plomb dans le socle d’Époque contemporaine soutenant le gisant dans la salle du chapitre.
© Jean-Yves Langlois, Inrap
L’enquête se poursuit au laboratoire...
L’ensemble des restes osseux (lot d’ossements épars et squelette entier) retrouvés dans le socle du gisant ont été transférés au laboratoire du Craham à l’université de Caen. Les chercheurs vont poursuivre les investigations et étudier ces restes humains en combinant différentes approches. Des datations par C14 permettront de vérifier si l’âge des ossements est compatible avec la date d’inhumation de la reine Bérengère. Pour le squelette de la salle du chapitre, cette approche sera complétée par la détermination de l’âge au décès grâce au cément dentaire. Selon les résultats, d’autres études (analyse isotopique, recherche d’ADN, etc.) pourront être effectuées.
L’une des solutions envisagées en dernier recours, pour déterminer si l’un des squelettes peut être celui de Bérengère, est l’analyse génétique, à condition qu’il y ait suffisamment de collagène dans les os pour se prêter à ce type d’étude. L’analyse de l’ADN peut dans certains cas renseigner sur l’origine géographique d’une lignée humaine ; elle permet aussi d’établir des liens familiaux. Pour cela, il faut disposer de squelettes d’ascendants, de descendants ou de collatéraux. Dans le cas de Bérengère, les chercheurs ne peuvent se tourner que vers les ascendants et les collatéraux, la reine n’ayant pas enfanté. Les parents en question sont inhumés en Espagne. Si la localisation de certains de leurs squelettes est connue, encore faut-il pouvoir clairement les identifier par des études historiques et des analyses génétiques, certains corps ayant été déplacés, une approche difficile à mettre en œuvre.
L’Abbaye Royale de l’Épau - Huit siècles d’histoire
Textes : Claude Andrault-Schmitt, Ghislain Baury, Vincent Corriol, Pauline Ducom, Virginie Evrard, Clara Feldsmanstern, Bénédicte Fillion-Braguet, Emmanuelle Foucher-Lefebvre, Lucy Guerreiro, Jean-Yves Langlois, Marine Ruaux
Editions 303, coédité avec Sarthe Culture
128 pages, 16 euros
Recherches archéologiques : Inrap
Prescription et contrôle scientifique : Service régional de l’archéologie Drac Pays de la Loire
Responsable de recherches archéologiques : Jean-Yves Langlois, Inrap
Étude documentaire : Bénédicte Fillion Braguet, historienne de l’Art